Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

momens, gouverné très mal, c’est-à-dire par des hommes d’état incapables ou corrompus ; mais il est absurde de rendre les institutions responsables des vices des hommes, et le plus sûr remède qu’un pays libre possède contre le mauvais gouvernement, c’est la patience. Montesquieu comparait justement le despotisme au sauvage qui coupe l’arbre pour cueillir le fruit. L’histoire d’Angleterre à la main, il aurait pu comparer ceux qui, jouissant d’une constitution libre, arguent de l’impopularité passagère d’un gouvernement pour faire des révolutions, à l’imbécile qui brûlerait sa maison l’hiver parce qu’il y fait froid, ou qui la démolirait l’été parce qu’il y fait chaud. Montesquieu et Delolme auraient pu corriger aisément leurs décevantes théories sur la constitution anglaise : ils n’avaient qu’à raconter la manière dont cette constitution était pratiquée de leur temps.

Un roi qui n’est pas responsable et qui, suivant l’adage, règne et ne gouverne pas ; une aristocratie gardienne des traditions de l’état, dont les membres sont unis par les liens d’une solidarité héréditaire, et qui maintient les libertés publiques contre les envahissemens de la couronne et contre les emportemens populaires ; une opinion publique organe des intérêts démocratiques et agissant sur la direction des affaires par la presse et par une chambre représentative investie de la délégation de la souveraineté du peuple, — voilà les trois grands traits de l’idéal de la constitution anglaise. Il y a sur cette constitution un mot paradoxal de M. de Maistre, lequel n’est, comme tous les paradoxes, qu’une expression grossissante et railleuse placée sur un fond de vérité : — La constitution anglaise n’existe qu’à la condition d’être perpétuellement violée ! — Le côté vrai du mot de M. de Maistre éclate surtout pendant les vingt premières années du règne de George III. Le roi, qui ne peut pas mal faire (the king cannot do wrong) et qui, d’après la théorie, ne doit donc rien faire, veut gouverner, gouverne et gouverne très mal ; l’aristocratie est divisée et s’annule par ses rivalités intestines ; l’opinion publique s’égare ou dort, et pendant ce temps les affaires de l’Angleterre vont à la diable ou à la grâce de Dieu.

George III succéda, en 1760, à son grand-père George II. Une phrase du discours qu’il prononça à l’ouverture de son premier parlement sonnait comme une fanfare l’inauguration d’une ère nouvelle : « Né et élevé dans ce pays, je me glorifie, disait-il, du nom d’Anglais, et ce sera le bonheur particulier de ma vie de travailler à la prospérité d’un peuple dont je considère la loyauté et la chaleureuse affection comme la plus grande et la plus permanente garantie de mon trône. » C’était en effet la première fois, depuis cinquante ans, qu’un roi d’Angleterre pouvait se vanter d’être Anglais. Les trois princes que la maison de Hanovre avait donnés jusqu’à ce jour à l’Angleterre étaient nés