Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
SCÈNES ET MŒURS DES RIVES ET DES CÔTES.

que Baliboulik était là dans son domaine et entouré de ses connaissances habituelles. Il parlait aux oiseaux dont le vol dessinait au-dessus de la lande mille arabesques capricieuses, il apostrophait les ronces bourgeonnées qui lui barraient le chemin ; il imitait le bourdonnement de l’insecte perdu au milieu des touffes de digitales ou de fougères ; il regardait enfin aux quatre coins du ciel, écoutant les langues variées de la vie qui bruissaient autour de lui et leur répondant comme à des voix familières.

Après avoir descendu une fente du coteau où se dressaient quelques ormeaux nains, il se trouva à l’entrée d’un petit vallon marécageux, dont le centre était occupé par une forêt de roseaux. L’horizon, fermé de tous côtés, ne s’étendait point au-delà des fourrés d’aulnes et d’osiers qui enveloppaient les eaux stagnantes et semblaient franger les bords du coteau. Encore arrêté sur les crêtes, le soleil n’avait point fait glisser ses rayons jusqu’à ce ravin, plongé dans un demi-jour plein de fraîcheur. On n’y entendait que le coassement des grenouilles, au-dessus duquel s’élevait par instans le cri plaintif de quelque poule d’eau.

Dès que le bossu eut atteint les bords du marais, son humeur parut changer. Il reprit son air craintif et ralentit le pas en rentrant dans ses épaules la tête, qu’il avait auparavant redressée. Le chant qu’il fredonnait s’éteignit sur ses lèvres. Il promena autour de lui un regard timide, et s’engagea dans le sentier qui traversait le taillis avec une visible inquiétude. Ce sentier longeait la cabane des Guivarch, bâtie à l’extrémité du petit vallon, dans une espèce d’anfractuosité où ils s’étaient fait place avec la flamme, ce qui avait valu à cet endroit le nom de lande brûlée. Baliboulik ne pouvait éviter de passer en vue de la hutte isolée, et il était rare qu’il le fît sans essuyer les injures ou les poursuites des enfans. À cette époque d’ailleurs, les aulnes et les saules, dégarnis de feuilles, ne pouvaient déguiser son approche ; on devait l’apercevoir de loin, et le passage en serait pour lui plus difficile. Aussi, en atteignant le détour qui le mettait en vue de la cabane, s’arrêta-t-il incertain. Un instant il fut tenté de rebrousser chemin pour regagner l’écluse ; mais le pinson gazouillait dans la cage presque à son oreille, il apercevait à droite, au-dessus des arbres, la hauteur où il avait coutume de tendre ses gluaux, la sérénité du ciel lui assurait une heureuse pipée, et Nicole comptait sur la chasse promise. Il rassembla tout son courage, et, afin d’être moins long-temps exposé au péril, il s’engagea à grands pas, sans retourner la tête, dans le sentier qui côtoyait la saulaie.

À peine avait-il dépassé les premiers arbres, que les aboiemens d’un chien se firent entendre. Le petit bossu tressaillit. L’expérience lui avait appris que c’était le signal de l’épreuve à subir. Attirés par cet