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REVUE DES DEUX MONDES.

« — Oh ! à coup sûr, il profite ! dit la vive petite Ruth en prenant l’enfant, qu’elle débarrassa d’un petit chaperon de soie bleue et d’autres vêtemens, et qu’elle plaça sur le plancher en l’embrassant et l’abandonnant à lui-même. Le petit enfant semblait tout-à-fait habitué à cette manière de procéder, car il plaça son doigt dans sa bouche et parut bientôt absorbé dans ses réflexions, pendant que sa mère, tirant de sa poche un long bas de laine bleue et blanche, commençait à tricoter avec activité

« — Et comment va Abigaïl Peters ? dit Rachel, tout occupée à la confection de ses biscuits.

« — Oh ! elle va beaucoup mieux, dit Ruth ; j’étais chez elle ce matin, j’ai fait le lit, lavé la maison. Lia Hills est venue dans l’après-midi et a fait du pain et des pâtés pour plusieurs jours.

« — J’irai demain matin, dit Rachel, et je ferai tout le nettoyage nécessaire, et je donnerai un coup d’œil sur les choses qui demanderaient à être raccommodées.

« — Ah ! c’est très bien, dit Ruth. J’ai ouï dire, ajouta-t-elle, que Hannah Stanwood est malade. John y était la nuit dernière, et alors moi j’irai demain matin.

« — John peut venir ici pour prendre ses repas, si tu as besoin de rester chez elle toute la journée, observa Rachel.

« — Je te remercie, Rachel ; nous verrons demain, mais voici Siméon. »


Siméon Halliday amène George Harris près d’Eliza ; les deux époux partiront le lendemain sous la conduite de Phinéas, un quaker nouveau converti, jadis grand chasseur, et qui peut faire le coup de feu comme un simple colon de l’ouest. Mais, avant de quitter cette ferme hospitalière, prêtons l’oreille aux dernières paroles et aux conseils des quakers à George.


« — Père, que feras-tu si l’on te prend encore à faire échapper des esclaves ? dit le jeune Siméon en graissant sa tartine de beurre.

« — Eh bien ! je paierai mon amende, dit Siméon le père tranquillement.

« — Mais si l’on te mettait en prison ?

« — Eh bien ! est-ce que vous ne pourriez pas faire marcher la ferme, ta mère et toi ? reprit Siméon en souriant.

« — Ma mère peut faire presque tout ce qu’elle veut, dit l’enfant ; mais n’est-ce pas une honte de faire de telles lois ?

« — Tu ne dois pas parler mal de ceux qui gouvernent, Siméon, dit gravement son père. Dieu ne nous donne nos biens terrestres qu’afin que nous puissions exercer la justice et la charité, et si nos gouvernans requièrent de nous un prix pour l’exercice de ces vertus, nous devons le payer.

« — Je hais ces vilains propriétaires d’esclaves, dit l’enfant avec un sentiment aussi anti-chrétien qu’un réformateur moderne.

« — Je suis très surpris de tes paroles, mon fils, dit Siméon ; ta mère ne t’a pas instruit ainsi. Je ferais pour le propriétaire d’esclaves la même chose que pour l’esclave, si Dieu l’amenait à ma porte accablé sous l’affliction.

« Siméon junior devint pourpre, mais sa mère sourit et dit : — Siméon est un bon garçon, et, à mesure qu’il grandira, il deviendra de plus en plus semblable à son père.