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débarrasser ? S’il est maintenu, quel danger de guerre civile permanent ! que de luttes au sein du congrès et dans les états ! quelles crises politiques à retours périodiques ! L’esclavage ne peut être aboli que successivement et par l’effet des circonstances particulières dans les différens états. Ainsi, par exemple, il a été aboli dans la Colombie par le compromis de Henri Clay, qui n’a pas voulu laisser souiller le siége du gouvernement par une telle institution. D’un autre côté, il est à remarquer que l’esclavage recule toujours davantage vers le sud et que les états qui touchent de près au nord en seront débarrassés avant qu’il s’écoule un long laps de temps. Ainsi l’état de Delaware compte à peine aujourd’hui deux mille esclaves ; on peut prévoir que l’esclavage y sera supprimé prochainement. Enfin, troisième circonstance, le travail des esclaves n’a tout son prix que dans les grandes plantations et pour certaines cultures, la culture du coton, celle du tabac, celle du riz, pour tous les travaux enfin qui demandent à être hâtés et pour ainsi dire forcés à une certaine époque de l’année ou selon la demande des acheteurs étrangers. Pour les travaux purement agricoles, le travail libre est préférable ; les états du nord en ont fait l’expérience. Le travail forcé épuise les terres les plus fertiles avec une singulière rapidité. L’état de la Virginie, dont le principal commerce consiste dans l’élève et la vente des esclaves, est une preuve de cette vérité ; par conséquent, il faut attendre que les états purement agricoles et qui entretiennent encore des esclaves, comme le Kentucky, mieux éclairés sur leurs propres intérêts, se déterminent à suivre l’exemple des états du nord et à confier comme eux la culture des terres au travail libre. Voilà comment lentement et graduellement l’esclavage peut être aboli ; mais, nous le répétons, il ne peut pas l’être par amour des principes.

L’esclavage d’ailleurs ne repose sur aucun principe : c’est un fait et rien de plus, un fait que les intérêts ont perpétué, que les nécessités politiques ont légitimé, que l’habitude et le temps, aidés du préjugé, ont pour ainsi dire transformé en un fait naturel. Toutes les raisons qui peuvent être données contre l’esclavage au nom de l’humanité et de la justice ont été dès long-temps données, et nous n’avons que faire de les répéter. Toutefois il en est deux moins connues, moins usées que toutes les autres, et qui suffiraient seules à nos yeux pour condamner l’esclavage.

La première de ces deux raisons est celle-ci : c’est que l’esclavage n’est pas une institution, mais un fait, qu’il n’a jamais été et ne pourra jamais être une institution, parce qu’il lui est impossible de produire le résultat naturel de toute institution, qui est d’établir des relations entre les hommes. Si l’esclavage était capable de créer des relations entre le maître et l’esclave, nous ne songerions pas à le blâ-