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et même de ces rhéteurs que l’on voue à l’opprobre. Il a écrit un livre admirable sur l’utilité que les jeunes gens peuvent retirer de la lecture des livres profanes, et, loin de marcher, comme il est dit, sur l’aspic et le basilic, loin de fouler aux pieds le lion et le dragon, il engage les jeunes esprits qui l’écoutent à se livrer, partout où elle se rencontre, à l’utile moisson des saines paroles. « Enfans, écoutez-moi : l’âge auquel je suis parvenu, les vicissitudes de ma vie et mon expérience personnelle me donnent une certaine autorité sur vos jeunes âmes. Je vous aime et je suis un peu votre père ; je vais vous enseigner à tirer bon parti des vieux auteurs, à leur prendre ce qu’ils ont d’utile, à laisser ce qu’il importe de négliger. » Alors le voilà enseignant ces jeunes gens qui l’écoutent avec une modestie, une modération, un zèle tout paternel, que nos chrétiens d’aujourd’hui feraient bien d’imiter. D’une main sûre, il ouvre les poètes proscrits, il les ouvre aux belles pages, et, montrant à ses disciples, éblouis de ces clartés inattendues, ces miracles de l’esprit humain qui sont restés enfouis si long-temps dans la nuit infidèle du moyen-âge : « Enfans, s’écrie-t-il, ayez bon courage ! Quand le poète vous met en présence des grandes actions et des grands hommes du monde ancien, prêtez-lui une oreille attentive. Écoutez, enfans, le salutaire enseignement du poète ; mais, s’il oublie un instant l’honneur des chastes muses, fuyez aussitôt en vous bouchant les oreilles, comme fit Ulysse aux chants de la sirène. Oui, c’est notre devoir de veiller sur nous-mêmes, de peur que, charmés par l’attrait sonore des paroles savantes, vous ne receviez à votre insu quelque impression vicieuse, et qu’avec le miel des livres éloquens, nous n’introduisions dans vos âmes des sucs empoisonnés. Honneur aux poètes quand ils enseignent de grandes et utiles leçons ! honte aux poètes s’ils nous montrent, en leurs vers corrompus, les joies insensées du vin et de l’amour ! »

C’est encore saint Basile qui, envoyant aux écoles d’Athènes un enfant de son adoption, l’adresse à Libanius : « Servez-lui de père ; il est le fils d’un ami qui m’est bien cher. Instruisez-le dans les arts que vous savez si bien, et s’il a quelques défauts, soyez semblable à ces bonnes gens qui aiment les roses et qui ne se fâchent point contre les épines dont la rose est accompagnée ! » À lire ces merveilles, on respire avec une joie mêlée d’orgueil le véritable parfum venu de l’Attique. Et voilà justement la grâce et le charme, et voilà ce qui nous plaît chez les anciens et ce qui nous enchante, à savoir la forme, et la vie, et l’accent, et la parole à ce point accomplie ! On lit à ce propos dans un livre excellent, les Nuits attiques, une histoire incroyable et très vraie et qui fait le plus grand honneur aux deux hommes qui en sont les héros. Pompée un jour consacrait un temple à la Victoire ; il voulait mettre au fronton de ce monument, qui n’est plus que sable