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la parole : « Nécessaire, indispensable aux Grecs avant la venue de Jésus-Christ, la philosophie est utile présentement pour la direction de la piété et du culte divin ; elle sert à établir les principes de la foi, elle sert à éclairer la démonstration ! »

Il faudrait citer encore tout le passage (cité déjà par le père Bourdaloue) dans lequel cet admirable pédagogue saint Clément, retrouvant en son chemin les poètes païens, les approuve et les loue, en fin de compte, de n’avoir pas été les dupes de leurs faux dieux. « Voyez, dit Bourdaloue avec saint Clément, la bonne foi de ces grands poètes, les théologiens du paganisme : lorsqu’ils décrivaient les pratiques menteuses de leurs fausses divinités, ils ne les représentaient jamais dans leur forme naturelle, mais toujours déguisées et souvent changées en bêtes. — Nous les blâmons d’avoir ainsi déshonoré leur religion et démenti la majesté de leurs dieux ; mais, à le bien prendre, ils en jugeaient mieux que nous, car ils voulaient nous dire par là que ces dieux prétendus n’avaient pas pu se porter à de pareilles extrémités sans se méconnaître, et qu’en devenant adultères, non-seulement ils s’étaient dépouillés de l’être divin, mais encore qu’ils avaient renoncé à l’être de l’homme ! » Il me semble que l’argument est péremptoire. Ainsi voilà Bourdaloue et saint Clément, deux lumières de l’église, qui reconnaissent hautement que « le paganisme des poètes de l’antiquité est un paganisme sans danger ; » on dirait même, à les en croire, qu’il faudrait rendre grâce aux poètes antiques du peu de cas qu’ils ont fait des dieux de l’Olympe !… Eh bien ! quand même notre dissertation : du peu de danger de l’antiquité dans les jeunes esprits, devrait y perdre un argument considérable, nous dirons que cette louange adressée aux poètes antiques par saint Clément d’Alexandrie et par le père Bourdaloue est une louange injuste, cruelle, et nous dirions perfide, si le moi perfide était bien séant à la grandeur de ces véritables apôtres.

À Dieu ne plaise en effet que, pour mieux défendre et protéger les plus grands poètes qui aient instruit et charmé le genre humain, nous acceptions ces accusations et ces louanges d’une impiété préméditée ! Homère a vu tous ses dieux, Virgile croyait à tous les siens ; s’ils n’avaient pas été des croyans, ils n’auraient pas été de si grands poètes. C’est là ce que dit très bien et très hardiment un païen converti, Minutius Félix, qui fut le dernier héritier de cet Hortensius, l’exemple du barreau romain, célèbre à la fois par son éloquence et par son luxe, éloquent ami des belles-lettres et des beaux-arts, adoré des Romains, estimé de Cicéron, censuré par Tertullien, l’égal et le rival de Crassus, de Philippe et d’Antoine ; Hortensius eut pour cliens des rois et des consuls : il eut la gloire de défendre) pompée, il eut le malheur de défendre Verres !

Dans ce barreau romain, qui se souvenait encore de ces exemples