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L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

Lugdunensem rhetor dicturus ad aram.

Saint Justin, avant d’être un père de l’église, avait été élevé aussi dans toutes les écoles du paganisme. Lui-même il raconte qu’il s’était fait recevoir tout d’abord à l’école d’un stoïcien qui lui enseignait que peut-être il n’y avait pas de Dieu. Du stoïcien, Justin avait passé à l’école d’un péripatéticien, qui s’était fait payer d’avance. Son nouveau maître fat un disciple de Pythagore. — Savez-vous, lui disait-il, la musique, l’astronomie et la géométrie ? Et comme il n’en savait guère, il entra chez un disciple de Platon. « pour le coup, il me sembla que j’avais trouvé ce que j’avais tant cherché : cette doctrine allait à mon ame impatiente ; la contemplation des idées intellectuelles semblait me donner des ailes pour m’élever jusqu’à la plus haute sagesse. Imprudent que j’étais ! » Et même, quand il fut touché des clartés de l’Évangile, saint Justin par le de Platon avec reconnaissance et avec respect. Il fait plus, il appelle à son aide très souvent les philosophes et les écrivains les plus célèbres du paganisme. — « Pourquoi, dit-il aux païens, faites-vous un crime aux chrétiens des dogmes mêmes qui leur sont communs avec vos poètes et vos philosophes ? Le plus célèbre de vos sages, Socrate, n’a trouvé personne, pas même un seul de ses disciples, qui ait voulu souffrir la mort pour les doctrines de son maître. Quant à moi, sectateur de la philosophie de Platon, lorsque j’ai vu les chrétiens courant à la mort pour soutenir la vérité de l’Évangile, j’ai compris qu’il n’était pas possible qu’il fussent les esclaves de la volupté. » Que dites-vous de ce passage ? Est-ce que le nom de Socrate et l’intervention de Platon ôtent quelque chose à l’autorité de cet enseignement ? Il semble au contraire que ce parfum d’antiquité se répand sur cette parole et qu’il en augmente la force et l’éclat. On demandait à un philosophe qui revenait de Sparte à Athènes ce qu’il avait fait depuis six mois. — « J’avais, dit-il, quitté l’appartement des femmes pour la maison des hommes, et malheureusement me voilà revenu à mon point de départ. »

Un disciple de saint Justin, Tatien, quand il se trouve en présence de cette antiquité d’où ils sortent et d’où ils viennent les uns et les autres, — nous parlons des plus éloquens et des plus habiles, — ne se met guère en peine de tourner la difficulté ; il la brise. « Les Grecs, dit-il, ne sont pas nos maîtres, leurs poèmes sont nés d’hier, si vous les comparez aux saintes Écritures, et voilà pourquoi, lorsque j’ai lu ces livres si remplis de simplicité, de clarté et de promesses, j’ai renoncé aux anciens, à leurs systèmes, à leurs philosophies, à leur religion ! » Véritablement ils y renonçaient, mais ils emportaient avec eux ces armes trempées dans l’éloquence antique, et de ces armes ils se servaient cruellement pour accabler les anciens. Ces dieux qu’ils combattent, seraient-ils si forts et si habiles à les combattre, s’ils ne