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verser l’Atlantique plutôt que de se diriger vers un pays où l’acquisition de la propriété est entourée de telles entraves.

De même, si l’on étudie la politique commerciale, on est surpris de voir que, loin de faciliter les relations entre la colonie et la métropole, le tarif des douanes a, pendant plus de vingt ans, appliqué aux produits de l’Algérie importés en France le traitement des provenances de l’étranger. La loi du 11 janvier 1851 a supprimé complètement, en faveur des produits naturels, les barrières qui arrêtaient les échanges ; elle livre aux colons un vaste débouché pour les fruits de leur travail, et elle doit ainsi profiter à l’émigration.

Enfin le gouvernement a transporté à ses frais, sur l’autre rive de la Méditerranée, des colonies agricoles, et en ce moment même il y envoie les condamnés politiques. Il y aurait mauvaise grâce à blâmer aujourd’hui les émigrations parisiennes qui se sont accomplies en 1848, sous la pression d’une impérieuse nécessité. Ce n’était qu’un expédient imaginé au lendemain d’une révolution, plutôt pour dépeupler la capitale que pour peupler l’Algérie ; mais, envisagées au point de vue de l’intérêt colonial, ces émigrations pouvaient-elles fonder des établissemens durables ? N’auraient-elles pas au contraire éloigné, par la crainte de leur contact, les colons sérieux[1] ? Ici encore il faut recourir à l’exemple de la Grande-Bretagne, où le gouvernement et les compagnies n’accordent leur protection et leur assistance pécuniaire qu’aux émigrans qui en sont dignes. Si l’Algérie devait être considérée par la métropole comme une sorte d’exutoire pour certaines classes de la population, elle ne prospérerait pas. L’administration paraît disposée à revenir, sur ce point, à l’application des vrais principes qu’elle s’attache aujourd’hui à faire prévaloir dans les diverses parties de l’œuvre coloniale ; elle tente, en ce moment même, d’établir dans les meilleurs districts de l’Algérie un certain nombre d’enfans trouvés : ce n’est qu’un détail dans l’ensemble de la question ; mais si ce premier effort est couronné de succès, comme il y a tout lieu de l’espérer, on aura accompli un progrès réel et décisif.

On assure que le gouvernement se propose d’encourager également l’émigration européenne dans les Antilles françaises, en autorisant la création d’une compagnie qui obtiendrait la concession de vastes propriétés domaniales à la Martinique et à la Guadeloupe, et qui s’engagerait à transporter dans ces colonies quatre mille travailleurs en dix ans. Il serait prématuré d’apprécier un projet dont les bases et les conditions ne sont pas encore offi-

  1. M. de Talleyrand s’exprime ainsi dans le rapport que nous avons déjà cité : « Jusqu’à présent, les gouvernemens se sont fait une espèce de principe de politique de n’envoyer, pour fonder leurs colonies, que des individus sans industrie, sans capitaux et sans mœurs. C’est le principe absolument contraire qu’il faut adopter, car le vice, l’ignorance et la misère ne peuvent rien fonder ; ils ne savent que détruire… Souvent on a fait servir les colonies de moyens de punition, et l’on a confondu imprudemment celles qui pourraient servir à cette destination et celles dont les rapports commerciaux doivent faire la richesse de la métropole. Il faut séparer avec soin ces deux genres d’établissemens : qu’ils n’aient rien de commun dans leur origine, comme ils n’ont rien de semblable dans leur destination, car l’impression qui résulte d’une origine flétrie a des effets que plusieurs générations suffisent à peine pour effacer. »