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pour recevoir la race européenne et pour fournir un placement avantageux aux capitaux de la métropole. L’éloignement et les fatigues d’une navigation de plus de deux mois présentaient de graves difficultés ; mais les progrès de la marine à vapeur et la protection du gouvernement doivent triompher de cet obstacle[1].

De l’extrémité de l’Afrique, l’émigration nous entraîne vers les parages les plus reculés de la Mer du Sud. Il semble que, dans ses audacieuses entreprises, elle ne veuille laisser tomber l’ancre qu’après avoir sillonné en maîtresse tous les océans. En Australie, ce n’est plus seulement un district, une portion de continent, c’est un continent tout entier, un nouveau monde qu’elle ajoute aux domaines de la mère-patrie. Il y a environ soixante ans, les terres australes étaient à peu près inconnues de l’Europe. Lorsque l’Angleterre résolut d’y fonder un établissement pénal, elle ne songeait guère qu’à rejeter le plus loin possible les milliers de condamnes qui encombraient ses prisons ; en peu d’années, elle apprécia les ressources du sol et comprit la nécessité d’y multiplier la population. Les tribunaux de la métropole devinrent alors les pourvoyeurs de la colonie naissante, et ce fut le code pénal, appliqué avec une rigueur sans exemple, qui se chargea d’envoyer à Sydney ses premiers habitans. Le moindre délit était passible de la déportation en Australie ! Cependant, à la suite des convicts, quelques spéculateurs hardis s’embarquèrent pour Sydney, et ils y amassèrent d’immenses fortunes ; l’émigration, qui entrait peu à peu dans les mœurs de l’Angleterre, tourna les yeux vers un pays où le travail des condamnés procurait aux capitaux un revenu considérable. Bientôt le chiffre de la population libre dépassa, dans une forte proportion, celui des convicts ; le gouvernement resserra de plus en plus les limites assignées à la déportation en même temps qu’il encourageait l’introduction des travailleurs libres dans les régions les plus fertiles, et il se vit amené à diriger lui-même le courant de l’émigration, à le grossir par des subventions accordées dans l’intérêt de la métropole aussi bien que dans l’intérêt colonial. Tel est en résumé l’historique de ces vastes établissemens, qui, sortis d’une origine si impure, font tant d’honneur au génie de la Grande-Bretagne.

L’Australie est, sans contredit, la plus grande œuvre coloniale de notre temps. La fertilité du sol se prête à de nombreuses cultures ; les conditions hygiéniques conviennent à la race européenne. La propriété est solidement constituée, et le gouvernement a su faire jouer tous les ressorts de l’émigration avec tant de régularité et d’à-propos, que la population, s’accroissant par degrés, s’est toujours recrutée, au moins jusqu’à la découverte récente des mines d’or, parmi les classes qui devaient le plus sûrement concourir à la prospérité de la colonie. De 1825 à 1850, les navires partis d’Angleterre ont déposé, sur les différens points des terres australes, plus de 200,000 émigrans qui se sont principalement répandus dans la Nouvelle-Galles et dans l’Australie du Sud. En 1849, la population de la Nouvelle-Galles s’élevait à 250,000 âmes ; ses cultures s’étendaient sur un espace de 182,000 acres ; le

  1. On peut voir, sur les rapports de l’Angleterre avec la colonie du Cap, une étude de M. X. Raymond dans la livraison de la Revue du 15 Janvier 1852.