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donnant un livre précieux d’érudition, a voulu le rendre plus précieux encore; il a restreint le tirage à un petit nombre d’exemplaires, et de plus il a décidé que, de ces exemplaires si rares eux-mêmes, trois ou quatre seulement seraient destinés à la France. Il est résulté de là que le public, au lieu d’avoir un livre, n’a eu qu’une rareté, et qu’un très petit nombre de personnes ont pu, nous ne dirons pas consulter ou étudier, mais entrevoir les mystérieux volumes, qui ne s’ouvrent, comme les livres sibyllins, que pour quelques initiés. Du reste, quand on sait combien certains savans, certains érudits sont jaloux de leurs trésors paléographiques, quand on sait avec quel soin les bibliomanes, et même quelquefois les bibliothécaires, évitent de laisser voir et toucher des manuscrits ou des livres qui ne sont après tout que la propriété collective de la nation tout entière, on en arrive encore, par la comparaison, à savoir gré aux sociétés savantes ou aux bibliophiles qui s’imposent des sacrifices pour des publications dans le genre de celle du Barnatyne Club.

Les sociétés historiques et littéraires de la Suisse, beaucoup moins riches et moins magnifiques dans leurs éditions, ne sont pas moins actives que les sociétés anglaises; quand elles éditent des livres, elles le font de manière à ce que chacun puisse se les procurer et les lire, et encore faut-il faire cette réserve, que les droits qui frappent à la frontière les ouvrages en langue française édités à l’étranger en diminuent singulièrement l’importation. Au premier rang des associations savantes de la confédération helvétique, nous mentionnerons la Société générale d’histoire de la Suisse, fondre à Zurich en 1841, et la Société d’histoire de la Suisse romane, constituée en 1837, par MM. de Gingins-la-Sarra et F. Chavannes. Cette dernière a déjà publié neuf volumes in-8o de mémoires et de documens inédits, parmi lesquels il en est qui intéressent d’une manière intime et directe certaines époques de notre histoire. Tels sont les Mémoires pour servir à l’histoire des royaumes de Provence et de Bourgogne, par M. de Gingins-la-Sarra[1]. Par quelle suite de révolutions politiques la Provence, le Dauphiné, Lyon et une partie de son territoire furent-ils réunis au royaume de la Bourgogne jurane et devinrent-ils partie intégrante de l’empire d’Allemagne, d’abord sous le nom de royaume d’Arles, puis sous celui de terre de l’empire? Tel est le problème que s’est posé M. de Gingins dans celui de ces mémoires qui porte pour titre les Bosonides. Le principal personnage, on le devine, c’est Boson, le beau-frère de Charles-le-Chauve, que Charles, après son couronnement, établit en Italie comme duc ou vice-roi des Lombards, et dont le fils Louis, dit l’Aveugle, porta un instant le titre d’empereur. Il y a là, pour l’histoire de l’Italie aussi bien que pour l’histoire de la France une foule de questions intéressantes peu étudiées ou mal comprises. L’auteur les prend les unes après les autres, en insistant de préférence sur les côtés obscurs. Il met en présence la papauté, l’empire et l’Italie, et, en s’appuyant toujours sur les textes, il marche d’un pas ferme et sur dans un inextricable labyrinthe de luttes et d’intrigues. L’une des questions qui nous ont le plus intéressé dans le travail de M. de Gingins est celle qui se rattache à l’hérédité et à l’éligibilité du pouvoir suprême aux

  1. 4 vol. in-8o, Lausanne et Paris, 1851.