Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On discuta long-temps pour savoir quel pouvait être ce mort, enterré au milieu des champs, si loin du cimetière. Puisqu’il avait un sabre, c’était évidemment un soldat; mais, disait-on, pour qu’on l’eût mis dans un si beau cercueil de pierre, fait tout d’un morceau et qui avait dû coûter bien cher, il fallait tout au moins que ce fût un officier, et en effet on décida à l’unanimité que c’était un officier tué dans les guerres du temps de Marlborough, et qu’il serait convenable de l’inhumer en terre sainte. Le squelette fut donc placé dans un cercueil avec toute sa dépouille funèbre; on chanta pour lui l’office des morts, et sur sa tombe nouvelle on planta, comme sur la tombe des chrétiens, de grosses touffes de buis. Ce sentiment de curiosité et de respect qu’éveillait chez les paysans la vue de ce mort et de ces débris d’un autre âge, nous le retrouvons partout aujourd’hui, dans nos livres, dans nos idées et dans nos mœurs. Il semble qu’en vieillissant, les peuples, comme les hommes, aiment à se souvenir, et que, dans leur âge mûr, ils se tournent, avec un regret mêlé d’attendrissement, vers les jours heureux de leur jeunesse et de leur ignorance. Le passé d’ailleurs est si vaste et si profond, qu’il reste toujours pour les derniers venus quelque doute à éclaircir, et, au milieu des ruines, quelque recoin obscur à fouiller.

Comme les ouvrages d’histoire et d’érudition dont nous nous sommes occupé récemment[1], ceux que nous allons encore examiner ici se rattachent aux sujets les plus divers : archéologie héraldique, philologie, histoire sociale et littéraire, curiosités monumentales, etc. Cette grande variété est une preuve nouvelle que l’érudition, après être restée long-temps confinée dans un cercle assez étroit, tend chaque jour à élargir ses horizons. Bien des sujets qu’elle eût regardés, il y a trente ans, comme étrangers à ses préoccupations habituelles lui sont devenus familiers. Après avoir uniquement travaillé pour les savans et quelquefois pour les pédans, elle travaille enfin pour tout le monde, et, tout en défrichant des terrains nouveaux, elle trouve encore à glaner là où la récolte semblait faite depuis long-temps. Nous citerons comme exemple le Dictionnaire héraldique de M. Charles Grandmaison[2]. Étudié tout à la fois par la curiosité et la vanité, le blason est, sans aucun doute, de tous les sujets archéologiques celui qui prête le moins aux découvertes, et, bien qu’il ait survécu à toutes nos révolutions, il n’est souvent, pour ceux même qui s’en font gloire, que l’alphabet indéchiffrable d’une langue morte. Or c’est pour expliquer cette langue que M. Grandmaison a composé le livre dont nous venons de parier, et, à force d’investigations sagaces et patientes, il a écrit, sur un sujet vieilli, un livre nouveau par le plan et très abondant en détails curieux, en renseignemens peu connus.

Le Dictionnaire héraldique a surtout pour but de faciliter aux archéologues et aux gens du monde le moyen de déterminer à quelles familles, à quels temps, à quelles provinces appartiennent les armoiries qui se trouvent semées à profusion dans les châteaux, les églises, sur les tableaux, les armes, les cachets, les meubles, enfin sur les monumens de toute espèce que nous a légués la vieille France. Cette détermination, pour être exacte, demande de longues

  1. Voyez la livraison du 15 novembre.
  2. Un vol. in-8o, chez l’abbé Migne, à Montrouge.