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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

des relations si régulières et si fréquentes, que les Irlandais répondent immédiatement à rappel, si le Canada réclame un grand nombre de bras et si le taux des salaires s’élève au point de révéler une disproportion notable entre l’effectif des cultivateurs et les besoins de la culture. Parfois même il a paru prudent de prémunir les émigrans disposés à se rendre à Québec contre les difficultés qu’ils éprouveraient à y trouver du travail.

Le printemps est la saison la plus favorable pour arriver au Canada. Le colon peut alors gagner aisément la région où il compte s’établir, faire les semailles et se construire une maison ou plutôt une hutte pour l’hiver. La législation intervient par un procédé aussi simple qu’ingénieux, pour multiplier les arrivages pendant la bonne saison et pour les ralentir à l’approche des glaces ; elle double à partir du 1er  septembre et triple à partir du 1er  octobre jusqu’au 1er  avril la taxe individuelle que le capitaine du navire doit acquitter par tête de passager. Le tiers environ des immigrans se dirige ultérieurement vers les États-Unis. Afin d’encourager ce transit et d’attirer de plus en plus sur son territoire les colons européens, la législature coloniale a décidé que remise de la moitié de la taxe payée au port de débarquement serait accordée aux émigrans de cette catégorie à leur sortie des frontières britanniques. On applique ainsi aux hommes le régime de drawback que les lois douanières appliquent fréquemment aux marchandises. Singulière analogie qui peint d’un seul trait le caractère de l’émigration des races humaines ! Il est bien vrai que l’homme lui-même, quelque haut qu’il se place dans son orgueil, n’est après tout qu’une marchandise, une matière première dont la colonisation s’empare pour féconder et mettre en valeur le sol qu’il a foulé ! — Mais alors pourquoi cette taxe, relativement assez lourde, que la loi impose à l’arrivée de chaque passager ? On perçoit aux États-Unis le même impôt pour subvenir aux frais qu’entraîne l’immigration ; un pareil motif le rend indispensable au Canada. Les futurs colons débarquent pleins d’espérance dans l’avenir, mais ils ne rencontrent souvent, dès les premiers pas, que déception et misère. L’humanité commande de leur venir en aide, et c’est ainsi que se dépense le produit de la taxe d’entrée. Cependant il y avait un tel abus dans la distribution de ces secours, qu’une loi récente a dû limiter l’assistance publique au seul cas de maladie. Les immigrans sont donc tenus de se procurer des ressources suffisantes pour couvrir les premiers frais de leur séjour. De sages mesures ont d’ailleurs été prises dans l’intention d’épargner autant que possible leur modeste pécule. Les passagers ont le droit de demeurer quarante-huit heures à bord du navire qui les a amenés et d’y être nourris et entretenus aux mêmes conditions que durant le voyage, ce qui leur permet de chercher à loisir un emploi et de choisir avec réflexion le district où ils trouveront le plus d’avantage à se fixer. En outre, les commissaires du gouvernement, dans les ports de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, sont autorisés à recevoir les sommes que les propriétaires ou les personnes charitables désirent remettre à certains émigrans lors de leur arrivée au Canada, et cette remise est effectuée sans frais par l’agent qui réside à Québec. La colonie est ainsi exonérée d’une partie des dépenses que l’imprévoyance ou la misère extrême des passagers aurait laissées à sa charge.

Les progrès de la colonisation au Canada ne sauraient être comparés à