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ment. Qu’y a-t-il autre chose qu’un monologue de ce genre dans cette Profession de foi du dix-neuvième siècle que publie M. Eugène Pelletan ? L’auteur entreprend de refaire une philosophie de l’histoire pour en tirer le dogme du progrès humanitaire ; il porte même dans cette œuvre étrange un zèle et une conviction qui effraient.

Si la Profession de foi du dix-neuvième siècle eût vu le jour il y a dix ans, nous osons croire qu’elle eût pu avoir du succès auprès de tous ceux qui aiment à ne pas comprendre ce qu’ils lisent et qui jugent une eau profonde parce qu’elle est trouble. Malheureusement on est très refroidi aujourd’hui sur les effusions lyriques et les incantations philosophiques. C’est un fait bien avéré : il y a de notre temps une foule d’esprits qui prennent des mots pour des idées, qui aiment à faire danser en ronde la lune et les étoiles, les cathédrales et les temples païens, l’Hymalaya et l’Olympe, et qui font consister la philosophie dans cet assemblage bizarre. Ils enveloppent le panthéisme et le fouriérisme de toutes sortes de broderies chrétiennes et mystiques ; ils ne parlent que d’incarnation, de verbe et de rédemption. La France, par exemple, est « une immense eucharistie ; » la révolution française est « la montagne du Calvaire. » Savez-vous en quoi consiste le progrès, selon M. Pelletan ? Il consiste à augmenter la somme de la vie, pour nous servir de la langue de l’auteur. « Vivons donc amplement, largement, dit-il, pour obéir à l’irrésistible loi de notre nature ; achevons l’œuvre de la création inachevée sur notre planète. » Mais il nous semble que le progrès pourrait bien consister à vivre selon la vérité et la justice, au lieu de vivre largement et amplement. Nous discutons et nous sommes attirés par cette définition de la musique que M. Listz comprendra à coup sur : « La musique, poésie du nombre, secousse du monde rhythmé et cadencé, qui reflue dans un souffle au fond de la sensation, caresse, joie intime ou plutôt atmosphère harmonieuse de l’ame, qui pénètre, qui imbibe la pensée, qui l’épanouit et la prédispose à tous les sentimens et à tous les pressentimens de l’infini… » Près de cinq cents pages de ce style ! N’y a-t-il pas là de quoi s’inoculer très glorieusement la quintessence du progrès humanitaire, à moins qu’on ne préfère rester avec ce vieux compagnon, ce grand et éternel rétrograde, le bon sens ? Si c’est là la profession de foi du xixe siècle, nous ne nous étonnons pas qu’il trébuche si souvent et qu’il marche à tâtons dans ces ténèbres palpables, ne sachant à quel Dieu croire et quelle lumière invoquer. Et maintenant ne trouvez-vous pas qu’il est singulièrement juste et opportun de choisir entre tous ce livre pour chanter les merveilles du xixe siècle ? Qui donc oserait dire qu’il manque quelque chose à la littérature de la France ? Qui donc oserait ne point voir dans les chefs-d’œuvre d’il y a vingt ans le dernier mot du génie humain ? Quoi ! vous iriez croire que toute cette fière et orgueilleuse inspiration est tombée en défaillance avant le temps, qu’elle n’a pu se rajeunir et que rien n’est venu la remplacer ! Mais n’est-il pas visible que l’inspiration littéraire abonde de toutes parts ? Vous faut-il de la philosophie ? vous aurez d’abord la Profession de foi du dix-neuvième siècle. Dans l’art dramatique, le Théâtre-Français ne regorge-t-il pas de chefs-d’œuvre ? Corneille et Molière ne sont-ils pas éclipsés ? Dans la poésie lyrique, n’en est-il pas de même ? Et d’ailleurs vous auriez encore ici la Profession de foi, spécimen avantageux de lyrisme contemporain. Et le