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lières, en vue de restreindre autant que possible celle qui se porte aux États-Unis.

Toutes les colonies ne sont pas également propres à recevoir l’émigration. Les régions voisines de l’équateur sont funestes à la race blanche. Les pays qui comptent déjà une nombreuse population demandent au vieux monde ses capitaux et son intelligence plutôt que des bras. Pour que l’émigration rende les services que l’on attend d’elle, il importe qu’elle rencontre un climat salubre et un sol à peu près libre, où elle puisse s’établir facilement et se développer à l’aise. Ainsi le veut la nature des choses. Les Anglais se sont prudemment conformés à cette loi que leur sens pratique eût devinée ; ils ont choisi, dès l’origine, leur principaux centres d’opérations dans les contrées les plus favorables. Laissant les Antilles aux nègres et l’Inde aux Indiens, ils ont recommandé aux préférences des émigrans le Canada, le cap de Bonne-Espérance, l’Australie, territoires immenses, fertiles, salubres, que Dieu semble avoir préparés à l’exploitation européenne. Enfin, après un mûr examen, ils ont reconnu que le Canada attirerait naturellement, par le simple effet d’une législation sage, les émigrans qui s’embarquent pour l’Amérique du Nord ; ils ont réservé les encouragemens pécuniaires et leurs plus sûrs moyens d’action pour hâter le peuplement de l’Afrique méridionale et des rivages lointains de l’Australie.

Le Canada est depuis long-temps habité par une population européenne. Avant l’émigration anglaise, la France y avait fondé des établissemens dont l’histoire ne manque pas de grandeur. Le Canada garde le souvenir de ces nobles aventuriers qui combattirent en héros pour défendre jusqu’à la dernière goutte de leur sang le drapeau de notre patrie. La domination britannique, si exclusive pourtant, n’a pas encore détruit l’empreinte de la France sur cette terre illustrée par les exploits chevaleresques de nos aïeux ; notre langue, notre littérature, nos mœurs, ont survécu à la défaite. Il y a au Canada un parti français et catholique, puissant par les traditions et par les idées. Depuis vingt-cinq ans toutefois, l’Angleterre a jeté sur les côtes de ses possessions de l’Amérique du Nord une émigration de huit cent mille âmes, et elle a conquis à son tour le Canada par une colonisation énergique : conquête plus sûre et plus durable que celle de l’épée.

Les émigrans de la Grande-Bretagne se portèrent d’abord au Canada ; ils devaient nécessairement choisir la terre la plus proche et débarquer à Québec ou à Montréal, dont les ports hospitaliers, faisant face à l’Irlande, semblaient placés sur le seuil du Nouveau-Monde pour y introduire les premiers colons d’Europe. Jusqu’en 1816, le Canada figura en tête des pays qui donnèrent asile à l’émigration anglaise. Depuis plusieurs années, ce mouvement s’est ralenti ; en 1850, tandis que 223,000 Anglais ou Irlandais allaient directement aux États-Unis, 30,000 seulement s’embarquaient pour les colonies de l’Amérique du Nord, et encore comprend-on dans ce dernier chiffre près de 14,000 passagers qui n’ont abordé au Canada que pour traverser le pays et pénétrer dans les États-Unis par la navigation des lacs. Il ne serait donc resté au Canada que 19,000 émigrans. Quoi qu’il en soit, le gouvernement anglais n’a jamais dû recourir aux subventions pour envoyer dans cette colonie de nouveaux habitans. Il existe entre l’établissement canadien et la métropole