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nations slaves, qui semblent en effet avoir toutes plus ou moins reçu pour mission la lutte contre l’islamisme et son refoulement vers l’Asie.

Gundulitj, durant sa longue carrière, s’essaya dans tous les genres. On peut le regarder comme le véritable fondateur du théâtre slave, resté jusqu’à lui dans une complète enfance. Après avoir emprunté le sujet, quelquefois même la forme de ses drames à l’antiquité grecque, comme dans Galatée, Cléopâtre, Cérès, Armide, l’Enlèvement de Proserpine, Sylvana et l’Amour, il aborda hardiment l’histoire nationale et composa des drames inspirés des annales serbes, Suncianitsa, Otto Raklitsa et Radmio. Gundulitj eut sur la scène ragusaine un digne successeur dans Junius Palmotitj, qui perfectionna encore le drame serbe, et dont il est resté de belles tragédies, comme Danitsa, fille d’Ostoïa, et Pavlimir et Zaptislava.

Jusqu’en 1667 Raguse avait joui d’une prospérité presque sans nuage: elle avait conclu des alliances commerciales avec toutes les puissances de l’Europe; elle possédait des comptoirs dans toutes les échelles de la Méditerranée. À Constantinople, le pavillon de Raguse était investi de privilèges extraordinaires. Le sénat ragusain avait une réputation de sagesse et d’impartialité si généralement établie, que les pachas turcs et les raïas serbes, dans leurs différends, s’en rapportaient volontiers à son arbitrage. Le tremblement de terre de 1667 anéantit en quelques minutes l’œuvre de six siècles de sagesse et de persévérans efforts. Raguse, ses magnifiques faubourgs, et jusqu’à ses chantiers de marine, furent entièrement bouleversés. L’esprit poétique lutta encore quelque temps contre la ruine qui le menaçait. L’année même de la chute de cette inoffensive république, Nicolas de Bona fit imprimer un poème élégiaque intitulé : Grad Dubrovnik Vlastelom u treseniu (la ville de Raguse à son sénat pendant le tremblement de terre). Bientôt Palmotitj publia en vingt chants un autre poème qu’il intitula : Raguse renouvelée (Dubrovnik ponovljen); mais le poème resta inachevé, comme la restauration même de la malheureuse Raguse. Il est d’ailleurs écrit dans un style ampoulé, lamentable et sans goût. On y sent à chaque page combien le beau idéal s’harmonise peu avec la misère. Un dernier coup avait d’ailleurs été porté aux lettres serbes : la haute école de Raguse venait de passer aux mains des jésuites. Dans cette académie où avaient enseigné Laskaris, Marulos, Khalkondylas et les plus éclairés, les plus libéraux d’entre les Grecs proscrits du XVe siècle, vinrent s’installer des moines pour qui la théologie était tout, et qui de toutes les langues du monde ne connaissaient que la langue latine. Le latin fut donc seul enseigné à Raguse; le reste fut oublié. En vain les lettres slaves essayèrent de refleurir sur d’autres points de la Iugo-Slavie; l’oppression étrangère ne tarda pas à les faire tomber partout dans un état de décadence bien pire encore qu’à Raguse. Cette oasis