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vieux monumens, bien qu’incomplets et mutilés, se montrent à nous pleins encore d’allusions au paganisme slave. L’olympe des dieux tchekhs domine visiblement l’inspiration qui a créé le poème de Libucha, première reine des Bohèmes, ainsi que le chant triomphal de Zaboï et Slavoï, consacré à raconter la victoire de ces deux héros sur l’armée germanique. Vers l’an 1240, le roi Venceslas Ier s’illustrait comme poète national. Un noble captif, Zavich Vitkovitch, ancêtre des Rosenberg, qui fut décapité en 1290, avait composé beaucoup de chants bohèmes dans son cachot. On possède encore de cette époque une chronique rimée, écrite sous le roi Jean, qui respire une haine ardente contre le teutonisme, et qui est restée pendant deux cents ans la lecture favorite des Bohèmes. Quand on parcourt quelques-uns de ces vieux monumens, on est frappé de la différence de style qui existe entre les poèmes tchekho-slaves et les romans de la chevalerie féodale du même temps. Les poèmes tchekhs s’inspirent des modèles grecs et latins; ils en adoptent jusqu’à la prosodie; ils sont tout classiques d’idéal comme de forme. Cette poésie présente, dès son début historique, un caractère de maturité qui étonne. On croirait qu’elle n’a pas eu d’enfance, si l’on ne savait d’ailleurs que cette période d’enfance avait commencé pour la littérature tchèque plus tôt que pour les autres littératures européennes.

Peu à peu les fruits succédaient aux fleurs, et les œuvres en prose aux œuvres de la lyre. L’esprit public faisait des progrès rapides. Aussi présente-t-on comme l’âge d’or de la littérature bohème le brillant règne de l’empereur Charles IV, qui, glorifiant au plus haut point l’idiome tchekh, l’éleva à l’état de langue diplomatique par sa fameuse bulle d’or de l’an 1356, dans laquelle il recommande comme indispensable l’étude de cet idiome à tous les électeurs d’Allemagne. C’est qu’en effet la connaissance du tchekh exerçait une influence souvent décisive sur le choix que la Bohême faisait entre les divers prétendans à son trône, et la couronne de Bohême garantissait alors à qui la portait, comme plus tard la couronne d’Autriche, une inévitable prépondérance dans tout le corps germanique.

Avec le XVIe siècle commença ce qu’on peut appeler l’âge classique de la littérature tchèque. De nombreux travaux philosophiques ou théologiques marquèrent cette période. La Bohême se faisait savante. Ses poètes cédaient la place aux orateurs de la chaire, aux jurisconsultes et aux philosophes. Il y a chez les Tchekhs un penchant inné vers les spéculations scientifiques. Le paysan le plus grossier parmi eux aime à se vanter de ses connaissances; il s’enorgueillit volontiers