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illyro-serbe, bohème ou tchekho-slave, chacune de ces littératures isolément est incomplète. Pendant que l’une dort, l’autre travaille; quand l’une rétrograde, l’autre avance; ce que l’une a perdu, l’autre l’a conservé; ce que l’une ne peut plus faire, l’autre sait l’accomplir. Étudiées dans leur ensemble, elles forment un monde plein d’harmonies divines, harmonies qui cessent brusquement dès qu’on veut se renfermer exclusivement dans le cercle d’une seule nationalité. Pour s’en convaincre, il ne faut que jeter un coup d’œil sur les principales périodes de l’histoire littéraire des peuples slaves. Ce tableau d’ensemble est une introduction nécessaire à des études détaillées, où chacune des fractions de la race slave pourrait s’offrir à nous dans son génie propre et dans ses créations contemporaines.


I. — AGE CLASSIQUE DES LETTRES BOHÈMES ET POLONAISES.

Quel était le but originel et par conséquent quelle est la tendance innée, instinctive et permanente de la littérature des peuples slaves? Que voulaient les saints apôtres Cyrille et Méthode, les premiers écrivains slaves connus? Ils voulaient, en politique comme en religion, une conciliation des deux principes grec et latin; ils voulaient mettre fin au schisme qui venait de naître entre Rome et Byzance : en réalité, ils le firent cesser tout à coup et comme par enchantement. La littérature ecclésiastique ou cyrillique, fondée au IXe siècle, fut adoptée chez tous les Slaves. Elle était née, ainsi qu’on vient de le voir, d’une transaction. C’est de cette transaction que sont sortis, comme d’un centre commun et unique, tous les développemens postérieurs. Les monumens primitifs de cette littérature sacrée furent malheureusement presque tous détruits par les Allemands, qui organisèrent contre elle une persécution et des auto-da-fé analogues aux violences dirigées de nouveau, cinq siècles plus tard, contre la littérature hussite en Bohême.

Une fois cette littérature conciliatrice étouffée, l’esprit de neutralité et de médiation disparut momentanément du milieu des Slaves. Obéissant à leurs attractions géographiques, les uns, sur le bas Danube et la Mer-Noire, s’abandonnent au schisme grec; les autres, en Pologne et en Bohême, subissent l’influence latine au point de ne plus savoir écrire en slave. Il en résulte que, chez tous les Slaves occidentaux ou latinisés, le moyen-âge n’offre que très peu de vestiges d’une littérature nationale.

Malgré le germanisme, qui n’a jamais cessé de peser sur lui, l’idiome tchekho-slave ou bohème paraît avoir eu néanmoins une série non interrompue de poètes depuis les temps païens jusqu’à ce jour, comme le prouvent les rapsodies du fameux manuscrit de Koeniginhof[1]. Ces

  1. Ce manuscrit est ainsi nommé parce qu’il fat découvert dans la ville bohème de Kœniginhof, par MM. Hauke et Iungmann, en 1817, au milieu d’un amas de vieilles armures hussites, dans une démolition d’église.