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O’Connell, dans la chambre des communes, des expressions blessantes pour les écrivains de la presse : les journaux de Londres, d’un commun accord, s’abstinrent de donner ses discours jusqu’à ce qu’il eût publiquement rétracté ses paroles. Tel est le changement que le temps amène dans les idées des hommes; le silence de la presse était un privilège il y a moins d’un siècle, c’est aujourd’hui un châtiment.

Un siècle après la révolution qui avait sauvé les libertés anglaises de la destruction naquit le journal qui tient aujourd’hui le premier rang dans la presse européenne : c’est au mois de janvier 1788 que fut publié le Times, qui est demeuré la propriété de la famille de son fondateur, l’imprimeur J. Walter. Le Times était moins un journal nouveau que la continuation d’une autre publication, le London Daily Universal Register, qui avait paru pour la première fois le 13 janvier 1785, et qui se transforma au bout de trois ans. Malgré ses soixante-cinq années d’existence, le Times est loin d’être le doyen de la presse anglaise. Sans parler de la Gazette de Londres, qu’il convient de mettre à part, le Public Ledger, qui n’est plus guère qu’une feuille d’annonces, remonte jusqu’à l’année 1760, c’est-à-dire près de trente ans plus haut que le Times. Le Morning Chronicle vient ensuite : il fut fondé en 1769 pour défendre le parti whig. Il eut à sa naissance pour imprimeur et pour directeur William Woodfall, frère de l’heureux éditeur du Public Advertiser, où paraissaient à ce moment même les Lettres de Junius. Le Morning Post date de 1772, et le Morning Herald du 1er novembre 1780. Des journaux du matin qui se publient aujourd’hui à Londres, le Morning Advertiser et les Daily News sont seuls plus récens que le Times. Cette longue existence des feuilles anglaises est une preuve que les journaux sont de bonne heure devenus en Angleterre une entreprise avantageuse. Au moment de la fondation du Morning Chronicle, le Daily Advertiser, créé dans la première moitié du siècle, avait déjà fait la fortune de plusieurs propriétaires, et ses actions s’adjugeaient aux enchères à des prix fabuleux. Le Public Advertiser d’Henri Woodfall se vendait à près de trois mille exemplaires par jour, chiffre énorme pour le temps. La circulation des journaux s’accroissait plus rapidement que leur nombre. En 1753, les journaux vendirent 7,411,757 feuilles; en 1760, 9,484,791; trente ans plus tard, en 1790, 14,035,739; en 1791, 14,794,153; enfin en 179-2, 15,005,760. L’accroissement rapide de ces trois dernières années n’était que le prélude du développement que les journaux allaient devoir à l’agitation causée par la révolution française.

M. Knight Hunt a établi une curieuse comparaison entre les premiers numéros du Times et l’Orange Intelligencer, fondé un siècle auparavant par les partisans de Guillaume III. Le journal de 1688, publié deux fois par semaine sur une petite feuille in-quarto, est de beaucoup