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mérite, Thomas Gordon, le traducteur de Tacite, et Trenchard, écrivirent à la même époque dans le British Journal les Lettres de Caton, dont quelques-unes furent attribuées à Bolingbroke. Les feuilles que nous venons de nommer ne seraient plus aujourd’hui considérées comme des journaux; mais, à l’époque où elles parurent, elles eurent une publicité plus considérable que celle des vrais journaux et une influence beaucoup plus grande. Elles contenaient, outre les articles qui ont depuis été recueillis à part, une certaine quantité de nouvelles courantes et bon nombre d’annonces. Aucune d’elles n’eut une longue existence, parce qu’elles n’avaient qu’un ou deux rédacteurs, et la nécessité de donner un ou deux articles par semaine, en tournant dans un cercle très étroit, mettait promptement hors d’haleine les écrivains les plus féconds; il n’était pas d’auteur dont la verve ne s’épuisât en deux ou trois ans à un tel métier. Les feuilles quotidiennes, qui avaient toujours la primeur des nouvelles, s’emparèrent bientôt exclusivement de la politique, et les journaux qui avaient des prétentions littéraires restreignirent leur publicité au lieu de l’accroître, parurent une fois par semaine avec des caricatures, ou devinrent mensuels sous le nom de magazine. Le Gentleman’s Magazine date du règne de George Ier.

L’influence considérable que la presse périodique avait acquise porta ombrage au pouvoir, et appela ses rigueurs sur les journalistes. Le pouvoir alors, ce n’était plus la royauté, c’était le parlement, et la chambre des communes, qui avait fait aux Stuarts un crime de leur chambre étoilée et de leurs persécutions contre la presse, refusa de subir à son tour ce contrôle de la publicité qu’elle avait elle-même imposé à la royauté; elle se transforma en une véritable chambre étoilée pour venger ses propres injures. Toute allusion à ses débats intérieurs, toute réflexion sur les discours prononcés dans son sein, toute désapprobation des mesures votées par elle, devinrent des délits punis par l’amende, l’emprisonnement, le pilori. Dans sa violence, elle ne respecta même pas le principe de l’inviolabilité parlementaire; en 1707, elle expulsa de son sein un de ses membres pour un livre qu’elle déclara injurieux à la religion chrétienne. On sait que l’existence du célèbre auteur de Robinson Crusoé, Daniel de Foe, ne fut qu’une longue lutte contre le parlement, et s’écoula à écrire des pamphlets, puis à les expier en prison. Quant aux journaux, il ne se passait guère de session qu’on ne vît quelque écrivain et quelque imprimeur traduits à la barre des communes et envoyés à Newgate. Steele lui-même, quoique membre du parlement, porta la peine des sarcasmes qu’il lançait contre la majorité; malgré l’appui de Walpole et du parti whig tout entier, qui prit fait et cause pour lui, il fut expulsé de la chambre en 1713 pour trois articles dans l’Englishman. Ce seul fait suffit à donner