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long intervalle de temps pour que la feuille imprimée se substituât complètement à la gazette manuscrite des nouvellistes. Les raisons en sont bien simples. Les libraires qui employaient Butter étaient fort mal informés, et quiconque approchait un peu les grands était mieux instruit qu’eux. Les Weekly News s’aventuraient rarement à parler des affaires intérieures; les nouvellistes en faisaient le principal sujet de leurs lettres, et non-seulement ils racontaient les faits, mais ils y joignaient des jugemens, des appréciations qu’ils n’eussent pas osé imprimer. Les Lettres de Nouvelles (News-Letters), comme on les appelait, étaient donc beaucoup plus intéressantes que le journal imprimé, et pendant un demi-siècle elles lui demeurèrent fort supérieures en circulation et en importance.

Le journal faisait de son mieux pour soutenir la concurrence, mais les esprits ne s’habituaient point à l’idée qu’on pût faire commerce public de nouvelles; une gazette imprimée était une nouveauté si surprenante et qui faisait tant de bruit, que Ben Jonson, revenant au théâtre après un long silence, crut voir là un excellent sujet de comédie. Il fit jouer en 1625 l’Approvisionnement de Nouvelles (the Staple of News), dans lequel il ridiculisait Butter et son entreprise. Butter y est appelé maître Cymbal; mais son vrai nom, qui signifie beurre en anglais, revient à chaque instant dans la pièce sous forme de calembour. Ben Jonson lui donne pour collaborateurs réguliers quatre coureurs de nouvelles ou émissaires chargés de recueillir tout ce qui se dit à la cour, au cloître de Saint-Paul, rendez-vous des badauds de Londres, à la Bourse, et enfin à Westminster, où siégeaient les tribunaux. Ben Jonson ajoute à ces quatre nouvellistes un mauvais poète, un docteur en médecine, et, comme rédacteur irrégulier, Lèche-ses-Doigts, cuisinier-poète, qui consacre ses loisirs à faire des devises et autres vers de confiseur. Le personnel administratif se compose de maître Cymbal, d’un secrétaire qui enregistre les nouvelles à mesure qu’elles arrivent, de deux commis et d’une foule de cartons avec de grandes étiquettes. Une brave paysanne se présente au bureau de maître Cymbal et demande pour deux liards de nouvelles, afin d’en faire présent à son curé : on la prie d’attendre quelques instans, parce que, si elle était servie à la minute, le public pourrait croire qu’on fabrique les nouvelles, au lieu de les recueillir.

Ben Jonson n’est pas le seul poète qui ait tourné en ridicule l’entreprise de Butter : Shirley, dans les Ruses de l’Amour, représentées en 1625, met aussi en scène la grande nouveauté du jour, et fait un portrait peu flatteur des marchands de nouvelles. « Ces gens-là, dit Shirley, avec une heure devant eux, vous décriront une bataille dans quelque coin de l’Europe que ce soit, et pourtant ils n’ont jamais mis le pied hors des tavernes. Ils vous dépeindront les villes, les fortifications, les