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... Aux yeux de l’univers Pierrot est un grand homme;
Jadis il eût pris part au Panthéon de Rome, etc.

On conviendra qu’il est tout-à-fait temps que je tire l’échelle.


III. — LES HISTORIENS ET LES PUBLICISTES.

Nous voici à la principale branche de la littérature haïtienne, à celle qui, tout à la fois, a le plus produit et promet le plus : — l’histoire. Un livre purement littéraire ne pourrait s’adresser ici qu’à la classe instruite, qui, déjà trop peu nombreuse pour couvrir les dépenses d’impression, donnerait presque toujours, je l’ai dit, la préférence aux produits analogues de notre librairie. Une histoire au contraire, une histoire locale s’entend, a des conditions spéciales d’intérêt qui, non-seulement lui assurent sans partage la clientelle de la minorité lettrée, mais qui lui recrutent encore de nombreux acheteurs dans la majorité illettrée. Le flot social a été tellement agité par les tourmentes qui se succédèrent de la première insurrection noire à la chute de Christophe, tant de noms ont successivement paru à la surface, que dix familles sur cent retrouveraient leurs archives domestiques dans les archives nationales, et peu d’entre elles, même et surtout dans la classe ignorante, résistent, le cas échéant, à l’envie de posséder dans leur armoire le « papier parlé » qui témoigne de leur passé historique. C’est en usant et en abusant du nom propre qu’un des plus récens historiens d’Haïti, M. Thomas Madiou, est parvenu à placer dans ce public, qui n’a jamais pu couvrir les frais d’impression d’une nouvelle, d’un journal ou d’un recueil de poésies, trois énormes volumes in-4°, et son succès aurait pu ne pas se borner là. Si l’histoire de M. Madiou et celles qui l’ont précédée étaient moins détestablement imprimées (et il est aisé d’y parvenir), nul doute que ce même intérêt de spécialité qui les recommande au public haïtien[1] ne leur eût encore ouvert l’accès de la librairie européenne.

Par une coïncidence heureuse, l’histoire, qui est pour le moment le seul véhicule possible de la littérature haïtienne, pourrait en devenir aussi la plus complète concentration. Vers les dernières années de la présidence de Boyer, le journalisme avait fait çà et là surgir de réels talens, aujourd’hui condamnés au silence : n’ont-ils pas un débouché

  1. Soulouque (car il n’y a qu’à savoir le prendre) favoriserait probablement lui-même ces sortes de publications. Quelque bonne ame lui ayant fait comprendre, il y a quelques mois, qu’un empereur doit protéger les lettres, il donna immédiatement l’ordre de faire venir de Paris les Classiques de Panckouke, ce qui dénoterait chez lui une violente révolution intellectuelle, s’il n’avait eu malheureusement l’idée, je tiens le fait de bonne source, de faire ajouter à la liste la Clé des Songes et le Petit Albert.