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Et lègue à ses neveux le problème vengeur
De son horreur et du silence, etc.

Bref, et pour concilier ses convictions républicaines avec ses admirations patriotiques, le poète conclut : 1° que le peuple doit faire tomber la tête des despotes; 2° qu’après cette opération préliminaire, il doit leur dresser des statues.

Le vœu implicite de M. Ogé Longuefosse a été plus tard repris et réalisé. Depuis 1848, Haïti compte une fête nationale de plus, la fête de Dessalines, et, par un châtiment providentiel de ce crime de lèse-humanité, la barbarie, qu’on croyait morte, est venue inopinément revendiquer le bénéfice de sa réhabilitation. Cette même année qui inaugurait le souvenir de Dessalines dans le calendrier civique a vu inaugurer sa politique dans le gouvernement. Les mulâtres, qui avaient les premiers r’ouvert cette tombe maudite, s’y sont les premiers engloutis. La muse nouvelle, qui avait jeté ce nom comme une avance à la faction ultra-noire, n’a pas même eu le temps de le chanter : la faction ultra-noire, comme si elle craignait que la muse s’en dédît, s’était empressé de lui l’ordre le cou. Elle est en effet bien morte. De toutes les fraîches fleurs de poésie, roses sauvages ou camélias de serre, qu’elle sema, de 1834 à 1848, dans ce coin des Antilles, rien, plus rien; le chou colossal du dithyrambe s’étale seul à la place sur le champ d’azur de l’empire. Par une fatalité comique, le second empereur d’Haïti est exactement chanté dans le même style que le premier :

De l’illustre Faustin voilà le jour du sacre :
Qu’Apollon dans ses vers le chante et le consacre.

Il rappelle à la fois César et Marc-Aurèle;
Il est grand à la guerre, à la vertu fidèle.
Achève, grand Faustin, tes glorieux travaux :
lis te voient, nos aïeux, du fond de leurs tombeaux.
Patrie et liberté, grandeurs nationales.
Étoile de l’honneur, aigles impériales.
Civilisation, triomphe au champ de Mars, etc.

Toute la pièce est à l’avenant, et à l’avenant sont toutes les autres pièces que chaque solennité officielle fait surgir. Pierrot, le bonhomme Pierrot, le vieux nègre stupide que mulâtres et noirs chassèrent en riant de la présidence, et dont Soulouque a fait « son altesse monseigneur le prince impérial de Pierrot, » est lui-même exposé aux rudes accolades de la poésie officielle :

O toi qu’Athène et Rome eût mis au rang des dieux.
Reçois le pur encens que t’offrent tes neveux...