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En Allemagne comme en Angleterre, on s’inquiéta vivement des conséquences à la fois politiques et économiques de l’émigration. Dès 1845, un écrivain évaluait à plusieurs millions le nombre des Allemands établis hors du territoire germanique : on craignait que cette dépopulation continue ne devînt une cause sérieuse d’appauvrissement pour le pays ; mais les doléances des économistes et les appréhensions des gouvernemens sont impuissantes contre l’irrésistible entraînement qui, à certaines époques, s’empare des imaginations populaires. Mieux vaut céder au courant et le diriger que de s’épuiser vainement à le combattre. Les classes nobles, long-temps hostiles à l’émigration, comprirent enfin que l’intérêt politique leur conseillait de la seconder et d’introduire leur haut patronage dans cette carrière nouvelle que s’était ouverte l’activité nationale ; elles formèrent une société en vue de coloniser le Texas. Leur plan s’accordait avec une autre pensée qui, depuis peu de temps, à l’instigation de la Prusse, avait rallié de nombreuses sympathies : nous voulons parler de la création d’une marine allemande, destinée à faire flotter sur l’Océan les couleurs de la confédération. Ce rêve ne pouvait se réaliser que le jour où l’Allemagne, à l’exemple de l’Angleterre et des Pays-Bas, développerait son commerce extérieur et s’assurerait au loin de vastes débouchés. Il semblait que l’on atteindrait ce but en établissant sur le sol de l’Amérique une population allemande qui consommerait les produits de la mère-patrie. La marine des villes anséatiques était en mesure d’effectuer les transports, et l’extension naturelle des échanges devait attirer vers cette nouvelle branche d’industrie les efforts et les capitaux de tous les pays associés : si l’Angleterre avait pris les devans aux États-Unis, les fertiles et immenses plaines du Texas offraient à l’Allemagne une exploitation facile et peu disputée ; mais la société des nobles avait à peine commencé ses opérations, que le Texas fut annexé à la grande fédération américaine. De plus, les premiers émigrans avaient fondé dans la Pensylvanie des villes populeuses : la colonisation du Texas se vit bientôt presque complètement abandonnée au profit des anciens états de l’Union, où les Allemands préférèrent rejoindre ceux de leurs compatriotes qui les avaient précédés en Amérique.

Le mécanisme de l’émigration est beaucoup plus compliqué en Allemagne qu’en Angleterre. Dans ce dernier pays, la mer est toujours proche ; en quelques heures, les bateaux à vapeur et les chemins de fer conduisent l’émigrant au port où il doit s’embarquer, et les mœurs essentiellement maritimes du peuple, ainsi que les renseignemens fournis par les commissaires du gouvernement et par les paroisses, permettent au passager de connaître exactement et de préparer à l’avance tout ce qui lui sera nécessaire ou utile pendant le voyage. En Allemagne, au contraire, le paysan de la Bavière ou de Bade qui se décide à quitter son champ se trouve à une grande distance du port ; il n’a jamais vu la mer. Les courtiers d’émigration et les agens des compagnies ne lui épargnent ni les séductions ni les promesses : ils lui délivrent un billet à l’aide duquel, dès son arrivée à Hambourg ou à Brème, il obtiendra passage sur un navire en partance ; mais l’émigrant est ordinairement livré à lui-même pour se rendre au port. Il faut qu’il supporte la fatigue et les dépenses d’un long trajet par terre ; rançonné par les spéculateurs qui, sous prétexte de lui venir en aide, abusent de sa crédulité et de sa bonne foi, il a