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THERESE. — Bon! Constantin disait encore hier que Fédor n’a que quatorze ans.

MARINE. — C’est égal, c’est un tsarévitch. Habillons-nous. Quel bonheur que ma robe de Paris soit arrivée! Vous en voudriez bien avoir de semblables, vous autres, je pense. (Entre Constantin Wiszniowiecki.)

THERESE. — Constantin! Constantin! A quelle heure arrive le tsarévitch?

CONSTANTIN.— Comment! Il est ici.

MARINE. — Il est ici, et nous ne sommes pas habillées, mon Dieu!

CONSTANTIN. — Quoi! vous n’avez pas vu mon frère?

THERESE. — Nous l’avons vu; mais il ne nous a rien dit... Eh bien! le tsarévitch?...

CONSTANTIN. — Le tsarévitch? C’est notre veneur Dmitri.

TOUTES. — Dmitri!

CONSTANTIN. — Le propre fils d’Ivan Vassilievitch. Vous avez toutes vu de quelle façon ce jeune homme est venu dans ce château... La singularité de ses manières, des messages mystérieux qui lui étaient apportés par des inconnus, les lettres qu’il écrivait sans cesse dans le grenier où il était logé, tout cela avait excité la curiosité, et, s’il faut le dire, les soupçons de mon frère. Nous montons à sa chambre; Piotrowski était avec nous. Nous le trouvons assis devant une petite table, scellant une lettre avec un sceau d’or. Devant lui étaient plusieurs papiers qu’il semble vouloir cacher en nous voyant. J’en saisis un; c’était une lettre adressée au tsarévitch Dimitrii Ivanovitch par le conseil des atamans du Don. — De quel droit, s’écrie-t-il d’un ton furieux, de quel droit prétendez-vous connaître mes secrets? — Alors mon frère, vous connaissez sa vivacité : — Je veux savoir qui tu es, dit-il, et d’où tu viens? Parle. — L’inconnu, j’en frémis encore, pâlit, serra les dents. J’ai cru qu’il allait se porter à quelque violence, quand tout à coup, d’un ton plus calme : — « Eh bien, je dirai la vérité, s’écria-t-il ; aussi bien cette vie de misère a lassé ma patience. Prince Adam, tu vois devant toi Démétrius, le fils d’Ivan-le-Terrible. Boris a tenté de me faire assassiner. Sauvé par un serviteur fidèle, j’ai long-temps erré de province en province, tantôt trouvant un asile dans un cloître, tantôt sous la tente enfumée d’un Cosaque. Si tu veux mériter les faveurs du tyran de Moscou, livre-moi à ses satellites. » À ces mots, entr’ouvrant son cafetan, il nous fit voir sa croix de baptême en diamans qu’il porte encore selon l’usage moscovite.

THERESE. — Une croix en diamans!

CONSTANTIN. — Tout d’un coup, Piotrowski, qui nous avait suivis, tombe à genoux : — « Maître, dit-il, j’ai été prisonnier des Moscovites, et long-temps j’ai vécu à Ouglitch. C’est bien là le fils du Terrible. Je reconnais ce signe qu’il a sous l’œil droit. »

THERESE et SOPHIE. — Il a un signe sous l’œil droit! et nous ne l’avions pas remarqué!

MARINE. — Moi, je l’avais bien vu.

CONSTANTIN. — Jugez de notre embarras, de notre confusion, de nos excuses... Mais lui, avec une bonté inouie, nous a donné sa main à baiser, en nous assurant qu’il n’oublierait jamais notre hospitalité.

THERESE. — Quelle aventure, grand Dieu!