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de nous ? Nos anciens ont baisé la croix en témoignage de leur sincérité, et, sauf le respect que je dois à toute la compagnie, il n’est pas bien de rompre si tôt un serment prêté.

VOIX. — Il a raison. Nous avons juré…C’est dommage.

GREGOIRE. — Permettez-moi, messieurs, de vous dire encore un mot. Le serment dont je viens d’entendre parler ne signifie rien, et moi qui m’y connais, puisque je suis d’église, je vous garantis qu’il ne vous oblige pas. Vous avez baisé la croix en promettant de ne pas guerroyer contre le tsar ou les hommes du tsar de toutes les Russies. N’est-ce pas là votre serment ?

L’ATAMAN. — En effet, j’ai baisé la croix pour tout le camp, et quatre atamans avec moi.

GREGOIRE. — Si vous manquez au serment que vous avez prêté au tsar de toutes les Russies, vous craignez d’être excommuniés, je pense ?

QUELQUES VOIX. — Nous nous soucions peu des excommunications.

GREGOIRE. — Doucement, nos amis ; soyons chrétiens et orthodoxes : ne badinons pas avec les excommunications. Examinons un peu l’affaire. Vous avez un traité avec le tsar, observez-le. Mais qui est le tsar, s’il vous plaît ? Est-ce ce Tartare qui est à Moscou ? Nenni. Celui-là est un usurpateur et un assassin. Le tsar légitime, c’est Dimitrii Ivanovitch ; il n’est pas sacré encore, mais c’est le seul seigneur de toutes les Russies, et c’est avec lui que le serment prêté vous engage.

VOIX. — Le moine dit vrai ! Boris est un traître, et nous ne le reconnaissons pas pour le tsar de Russie.

GREGOIRE. — Boris est non-seulement un assassin, mais un voleur. Il pille le pauvre peuple pour donner sa substance à sa race maudite, les Tartares Godounof. Tout ce qu’ont pillé ces hommes, m’a dit mon noble maître le tsarévitch Dimitrii, tout ce qu’ils possèdent, je le partagerai à mes serviteurs.

VOIX. — Vive le tsarévitch ! Guerre à Boris !

GREGOIRE. — En ce moment, je ne suis pas riche en argent comptant, a dit encore mon seigneur le tsarévitch ; mais j’ai un trésor à Moscou, et dès que j’en aurai la clé, je veux le partager à mes fidèles. Croyez-moi, braves atamans, je connais bien le prince qui parlait ainsi, et, sans vanité, je puis dire que sans moi il ne serait pas échappé aux embûches de Boris. De plus généreux, je n’en connais point. Quand il a des ducats dans sa ceinture, il les trouve trop pesans et les jette par poignées.

VOIX. — Vive Dmitri ! vive le tsarévitch !

L’ATAMAN. — Braves atamans, si vous voulez faire la guerre à Boris, je ne m’y oppose point ; mais il est puissant, il a de nombreuses armées, beaucoup de canons, et peut nous faire beaucoup de mal. Ne serait-il pas bon d’attendre que le tsarévitch et les polonais entrent en campagne ? Jusque-là, faisons provision de poudre et aiguisons nos sabres.

VOIX. — Bien parlé ! L’ataman a raison.

AUTRES VOIX. — Nous avons plusieurs de nos régimens en campagne. Attendons leur retour.

VOIX. — Nouvelles ! nouvelles ! Une députation de l’armée du Don. (Entrent plusieurs Cosaques qui prennent place dans le cercle.)