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CONSTANTIN. — Vous êtes-vous fait mal ?

MALUSKI. — Rien, rien.

MARINE. — Regardez donc, le moine a l’air de causer avec le cheval... Mais c’est que cette vilaine bête l’écoute vraiment... Il lui tient la tête et l’embrasse tendrement Ne trouvez-vous pas, messieurs, que ces deux mines farouches vont bien ensemble?...

CONSTANTIN. — Sur ma parole, le drôle le charme. Il sait la chanson des Bohémiens.

MINSZEK.. — C’est peut-être un Bohémien. Regardez comme il est noir.

CONSTANTIN. — Le cheval ne couche plus les oreilles... Il veut le prendre par la douceur... mais rien n’y fera... Oh! le voilà en selle.... Ah!... il se tient... Oh! oh!... il est ferme... c’est le diable...

YOURII, dans la cour. — Hoyda ! hoyda !

LE PRINCE ADAM. — Il part comme une flèche. C’est un Tartare que ce moine. Il a poussé leur cri.

CONSTANTIN. — C’est aussi le cri des Zaporogues[1]... De toute façon, c’est un hardi coquin... Comme il est lancé... Quel train!

MALUSKI. — Il file, il file tout droit Prince Adam, je parie, le diable m’emporte, que le moine vous emmène votre cheval, et vous laisse sa robe en échange.

MINSZEK.. — Non, ma foi. Il revient. C’est un fier écuyer.

MALUSKI. — Oh ! pouvez-vous dire cela, pane Mniszek? Regardez-le. Il est affourché sur la bête comme un singe ou un Tartare qu’il est... Ah ! si vous aviez vu à Paris, dans la grande écurie du roi, comme nous manégions devant Mme de Verneuil et...

CONSTANTIN, à Yourii. — Très bien, mon brave. Si c’est l’abbé de ton couvent qui t’a appris à monter à cheval, il était digne d’être le pope des Zaporogues.

YOURII, revenant. — Maintenant il est dompté, à ce que je crois.

CONSTANTIN. — Tiens, moine, prends ces vingt ducats. Tu les as bien gagnés.

LE PRINCE ADAM. — Et moi, je te donne ce cheval. Mon veneur est estropié. Si tu veux rester ici, je te donne sa place. Crois-moi, jette là ton froc.

YOURII. — Le proverbe dit vrai ; généreux comme un Wiszniowiecki. (A Marine.) Ces deux nobles seigneurs m’ont fait leurs présens. Pana, ne me ferez-vous point le vôtre? Donnez-moi la rose qui est à votre corset, (Il se met à genoux.)

MARINE. — A toi, moine?

MINSZEK.. — Au fait, c’est le prix du tournoi.

MARINE. — Tiens! (Elle lui jette la rose.) Est-ce qu’il faudra que je danse un menuet avec lui ?

MALUSKI. — Moine, donne-moi cette fleur. Voici vingt ducats encore.

YOURII. — Excusez-moi, noble pane. Je suis au service du prince Adam, et je n’ai plus besoin d’argent. (A un palefrenier.) Tiens, ami, porte ces vingt ducats au pauvre veneur estropié.

  1. Les Cosaques imitaient en tout les Tartares. Leur nom même est emprunté à la langue turque. Cazak signifie éclaireur, partisan.