MARINE. — Un cheval admirable, mais si méchant que personne ne peut le monter, et le prince Adam n’en sait que faire.
MALUSKI. — On s’y sera mal pris.
MARINE. — Non. Constantin Wisniowiecki a été jeté par terre si rudement qu’il en a le bras foulé, et le veneur de son frère, vieux Cosaque fameux par son adresse, a eu la jambe cassée : on le dit estropié pour la vie.
MALUSKI. — Vous me donnez une grande envie de monter ce cheval. (Entrent Mniszek et les princes Adam et Constantin Wiszniowiecki.)
MINSZEK.. — A votre place, prince Adam, je lui ferais tirer une arquebusade; vous n’en ferez jamais rien.
MARINE. — Père, le pane Maluski veut monter le cheval.
MINSZEK.. — Quelle folie!
LE PRINCE ADAM. — Demandez à Constantin s’il est facile.
MALUSKI. — Enfin je voudrais l’essayer. Il y a un an, M. de Rosny me fit l’honneur de me permettre de monter un grand cheval de ses écuries que personne n’avait pu réduire, et j’en vins à bout très facilement.
CONSTANTIN. — Vos chevaux français, je les monterai tous; mais ce tartare-là, je vous en défie.
LE PRINCE ADAM. — Parbleu! pane Maluski, je vous le donne, si vous le montez.
MINSZEK. — Maluski, n’essayez pas; hier, il a failli tuer un homme.
MALUSKI. — Laissez-moi faire.
MARINE. — Pane Maluski, songez-y : vos dentelles françaises... à quel risque vous les exposez !
MALUSKI. — J’ai eu l’honneur de prendre des leçons de manège à Paris dans la grande écurie, et je me flatte de ne pas les avoir oubliées.
CONSTANTIN. — Prétendez-vous qu’on monte mieux à cheval à Paris qu’en Pologne? Gageons vingt ducats que vous ne ferez pas le tour de la cour sur son dos.
MALUSKI. — Tope! (Entre Yourii, qui les observe sans qu’on fasse attention à lui.)
MINSZEK. — Vous allez le faire tuer.
LE PRINCE ADAM. — C’est son affaire. — Qu’on amène le tartare au bas de la terrasse.
MALUSKI. — Et si je le monte, la pana me donnera la rose qui est à son corset et dansera ce soir un menuet avec moi.
MARINE. — Et si vous vous cassez la jambe, qui me fera danser? Tenez, je vous donne cette rose, si vous renoncez à votre pari.
MALUSKI. — Cette fleur me sera encore plus précieuse quand je l’aurai gagnée.
YOURII, s’avançant. — Nobles panes, prenez pitié d’un malheureux étranger. Je viens de Russie, et on m’a dit à Smolensk que jamais un infortuné n’avait passé devant le château du prince Adam sans recevoir des marques de sa générosité.
MINSZEK.. — Je vous le disais bien, prince Adam, tous les mendians vous connaissent, et vous les attirez de vingt lieues à la ronde.
LE PRINCE ADAM, à Yourii. — Tu es un moine grec et schismatique, je crois. N’importe, je ne démentirai pas ma réputation. Tiens. (Il lui donne un ducat.) Vas à la cuisine, on te donnera à manger.