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SMIRNOÏ. — Coupables, veux-je dire. La nourrice, le marchand et quelques ivrognes sont déjà en route pour Pelim... Le moine a reçu un châtiment sévère par les soins de l’abbé de Saint-Serge,.

BORIS. — Et le Zaporogue?

SMIRNOÏ. — On n’a pu encore le découvrir. En quittant Ouglitch, il a dit qu’il se dirigeait vers Moscou; mais ses pareils, tu le sais, ont toujours l’habitude de mentir pour cacher leurs mouvemens. Pour moi, je soupçonne qu’il cherche à gagner la Lithuanie ou le pays des Zaporogues; mais la frontière est bien gardée, et c’est là que je l’attends.

BORIS. — Quel est le nom de ce marchand?

SMIRNOÏ. — Un certain Choubine.

BORIS. — Un homme que j’ai comblé de bienfaits ! — Et le moine?

SMIRNOÏ. — C’est un étourdi... à qui le vin fait dire mille sottises...

BORIS. — Son nom, son nom?

SMIRNOÏ. — Hélas! maître... que ton courroux épargne un insensé... C’est mon neveu Grégoire.

BORIS. — Qu’importe? point de faiblesse.

SMIRNOÏ. — Deux cents coups de verges... le cachot de pénitence... son repentir touchant... maître, n’est-ce point assez pour désarmer ta colère?

BORIS — Non, je veux voir cet homme. Pourquoi n’est-il pas ici?... Patriarche! quel est cet enfant que vous avez amené? Dans quel séminaire a-t-il été nourri? Depuis que je suis entré dans cette salle, je rencontre toujours ses yeux brillans comme des yeux de loup attachés sur les miens... Veut-il me fasciner à la manière des sorciers finnois? Jeune homme, ne sais-tu pas qu’en présence de ton maître tu dois baisser les yeux et courber ton front vers la terre?

JOB. — Seigneur très miséricordieux...

YOURII. — Seigneur, mes yeux n’avaient jamais vu un souverain. En présence du seul monarque chrétien de l’univers, du protecteur de la foi orthodoxe, mes yeux se tournent involontairement vers toi comme ceux d’un mourant vers la porte du paradis.

JOB. — C’est un orphelin pieux et dévoué, seigneur, dont la discrétion est au-dessus de son âge.

BORIS. — Jeune homme, en quittant ce palais, mets un frein à ta langue, si tu veux la conserver. Semen, patriarche, et vous, prince Chouiski, vous aussi, prince Fëdor, suivez-moi dans mon cabinet.

YOURII, à part. — Pauvre Choubine!--Bah! une bonne cause doit avoir ses martyrs.


IV.

Un couvent en Lithuanie sur la frontière de Russie.

YOURII, UN MOINE LITHUANIEN.


LE MOINE. — Ici tu n’as rien à craindre, mon fils, si tu as quitté la Russie contre ta volonté. Tu es sur la terre lithuanienne. Ton abbé te réclamerait en vain. Tu es jeune; fasse le ciel qu’arrivant en pays catholique tu sois