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JOB. — Prince Fëdor Ivanovitch, vous avez donné un grand scandale.

FEDOR. — Moi! très saint père!

JOB. — Vous avez séduit Maria Alexandrovna, fille d’un honnête gentilhomme de cette ville. Toute sa famille en pleurs est venue me demander Justice...

FEDOR. — Ne leur ai-je pas donné de l’argent, des fourrures et des pièces de brocart?

JOB. — Oui; mais l’honneur de la famille, prince, qui effacera la tache que vous y avez faite? Ne saurez-vous donc jamais commander à vos passions?

FEDOR. — Je suis jeune, très saint père, et vous savez que le tsar ne permet pas que je me marie[1].

BASILE. — Les mêmes défenses existent pour moi; mais je respecte le sixième commandement. — Oui est ce jeune homme que vous avez là, très saint père?

JOB. — Un jeune enfant de l’Ukraine que les Latins ont persécuté pour l’obliger d’embrasser Thérèse. Le Seigneur l’a inspiré. Il s’est enfui et est venu implorer un asile auprès de moi. S’il plaît à Dieu, quand il sera plus instruit, il fera honneur à l’église orthodoxe. Il a une belle main, et m’est utile pour mes écritures; il sait le polonais, et, par son moyen, je compte envoyer la lumière parmi nos frères opprimés par le roi païen.

BASILE. — Il a l’air intelligent.

JOB. — Surtout il est pieux et docile. (Entrent Boris et Semen Godounof.)

FEDOR, à Basile, bas. — Le tsar a l’air sombre et soucieux. Malheur à nous!

BORIS, bas à Semen. — Tu disais que Smirnoï Otrepief serait ici aujourd’hui. Il n’est point arrivé.

SEMEN. — Il me mandait qu’il quittait Ouglitch, et que son courrier ne le précéderait que de quelques heures. Tout est tranquille de ce côté, crois-moi, seigneur. Voici une députation du Don, je crois qu’il serait bon de la recevoir, surtout d’après ce que tu sais de leurs dispositions.

BORIS. — Qu’ils approchent.

SEMEN. — Atamans, prosternez-vous au pied du trône de votre maître, le tsar veut bien vous accorder cette grâce.

PREMIER ATAMAN. — Notre père miséricordieux, les atamans, les anciens et toute l’armée du Don nous ont envoyés pour battre du front devant toi. L’armée du Don, tu le sais, est la sentinelle de la Russie contre le Tartare; elle a toujours fidèlement gardé ton trône; elle le garde et le gardera. Depuis peu, notre père, certains officiers sont venus dans nos villages, qui se prétendent envoyés par toi. Ils disent que les vieilles coutumes de nos pères sont mauvaises, et qu’il faut les changer; ils disent que le Cosaque ne doit plus distiller l’eau-de-vie qui le soutient dans la guerre sainte; qu’à des marchands privilégiés il appartient de la vendre. Nos anciens, notre père, disent tous que ces choses-là ne se faisaient point au temps de tes glorieux prédécesseurs. C’est pourquoi nous venons humblement te supplier qu’il te plaise conserver à ta fidèle armée du Don les franchises dont elle a joui de temps immémorial.

  1. Boris voulait éteindre toutes les grandes maisons, et défendait aux princes du sang de Rurik de se marier sans son ordre.