BASILE. — Sans doute, sans doute. Tout ce que j’ai vu alors, tout ce qui s’est fait à Ouglitch a été consigné dans un rapport que mes collègues et moi nous adressâmes au tsar... Mais pourquoi souris-tu, et qu’est-ce que ce papier que tu tires de ton sein?
FEDOR. — Une énigme à laquelle je ne comprends rien. Hier soir, cette lettre m’a été remise par un inconnu.
BASILE, lisant. — « Au prince Fëdor Mstislavski, premier boyard du conseil. Nous, Démétrius Ivanovitch, par la grâce de Dieu..." » Qu’est-ce que cela?
FEDOR. — Regarde donc le sceau. Dieu me pardonne, c’est celui du feu tsarévitch.
BASILE. — Tu vas remettre cette lettre au tsar?
FEDOR. — Le dois-je, à ton avis?
BASILE. — Tu aurais dû lui porter cette lettre hier, si tu l’as reçue hier... Tiens, j’ai reçu celle-ci ce matin, moi.
FEDOR, lisant. — « Au prince Basile Chouiski. Nous Démétrius... »
BASILE. — La même lettre. Il dit... L’imposteur ose dire qu’il est vivant... que le prince Dimitrii est vivant, échappé à tous ses ennemis...
FEDOR. — C’est étrange! Et qui a porté cette lettre?
BASILE. — A l’église, quelqu’un, sans que j’y prisse garde, l’a mise dans mon bonnet. Folies que tout cela Mais il faut se hâter d’en avertir le maître.
FEDOR. — Il est impossible que le tsarévitch soit vivant, car...
BASILE. — Il est dangereux, il est coupable, Fëdor Ivanovitch, de discuter la question.
FEDOR. — Qui diable a pu écrire cette lettre?
BASILE. — Je ne sais... quelqu’un peut-être pour nous éprouver.
FEDOR. — Gageons que c’est...
BASILE. — Certainement non. Semen est un noble seigneur, à qui notre fidélité est bien connue... Mais regarde donc ces sauvages là-bas, ces atamans du Don, accroupis sur leurs talons comme des Tartares. Ils m’ont l’air de s’impatienter. Écoutons ce qu’ils disent.
PREMIER ATAMAN. — Frère Panteleïko, est-ce que tu n’as pas faim ? Je regrette d’avoir laissé à l’arçon de ma selle mon sac de farine et ma gourde... Voulez-vous que je vous dise, frères atamans... on se moque de nous.
DEUXIEME ATAMAN. — M’est avis que tu dis vrai. Il est plus de midi, et le tsar ne vient pas.
TROISIEME ATAMAN. — Je disais bien aux anciens qu’il était inutile d’aller à Moscou.
PREMIER ATAMAN. — Cela ne se passait pas ainsi au temps du Terrible... J’étais de la députation que l’armée du Don lui envoya en 7080, avec ton père, Panteleïko, et le tien, Seriojka. A peine avions-nous mis pied à terre que le tsar nous reçut. « Nos Cosaques, dit-il, sont à l’avant-garde de nos armées. Ils doivent passer les premiers partout. » Il y avait là des ambassadeurs du pape de Rome et du roi païen[1]. Il fallait voir leur grimace quand nous passâmes devant eux... Ah! c’était un bon maître qu’Ivan-le-Terrible !
- ↑ Le roi de Pologne.