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GREGOIRE. — C’est vrai que quand il fronce les sourcils...

CHOUBINE. — As-tu remarqué ses yeux quand il a aperçu le sceau?

GREGOIRE. — Il a sauté dessus.

CHOUBINE. — Pendant toute la route, il n’a cessé de me faire des questions sur le tsarévitch, sur Boris, sur ce qui s’était passé dans notre malheureuse ville en l’année 7099.

GREGOIRE. — Et à moi, il n’a parlé d’autre chose.

CHOUBINE. — Et comme il a parlé familièrement au prince Gustave,... et tout ce que le Suédois lui a dit... tu l’as entendu?

GREGOIRE. — Bah! bah! nous sommes des fous!... Il est clair que Démétrius est mort. Le prince Basile Chouiski est venu faire ici une enquête trois jours après l’assassinat... Tous les gens d’ici ont vu le tsarévitch exposé sur un lit de parade dans la cathédrale.

CHOUBINE. — Il est vrai; mais le lit avait douze pieds de haut et des strelitz tout autour. Qui aurait vu le visage de l’enfant?

GREGOIRE. — Mais la tsarine sa mère, qui est maintenant en religion...

CHOUBINE. — Ne sais-tu pas que la mère du prince Gustave a dit aussi que son fils était mort pour le faire évader plus sûrement?... Moi, il y a une chose qui m’a toujours étonné,... c’est que, son fils mort, notre glorieux tsar, que le ciel le protège, l’ait forcée de se faire religieuse.

GREGOIRE. — Parbleu ! l’aventure serait plaisante.

CHOUBINE. — Pas trop.

GREGOIRE. — Comment cela?

CHOUBINE. — Si celui-ci réclamait...

GREGOIRE. — Son trône? Mais c’est bien cela qui nous amuserait. Oh! je voudrais voir la mine de Boris quand il apprendra cette nouvelle.

CHOUBINE. — J’espère bien qu’il ne l’apprendra pas... Au moins, Grichka, sois honnête homme... Quel qu’il soit, il est mon hôte.

GREGOIRE. — Non, c’est impossible;... car enfin, si Démétrius n’était pas mort...

CHOUBINE. — Mais ce signe sous l’œil,.. ce signe!

GREGOIRE. — En effet, il y a là quelque chose de singulier;... mais...

CHOUBINE. — Je vais dire à ma femme de me faire venir la Jdanova... Parfois elle parle comme une personne raisonnable... et... silence sur tout ce que je t’ai dit ! (Il sort.)

GREGOIRE, seul. — Ce n’est peut-être qu’un hardi filou. Un Bohémien vous teint un cheval, lui plante une queue postiche et lui fait des dents neuves... On peut faire de même un faux tsarévitch... Si je contais la chose à Boris ou à son cousin Semen Godounof !... Une centaine de roubles peut-être... Oui, et peut-être aussi un coup de couteau le soir en rentrant au couvent..... Il n’aime pas qu’on souffle sur les cendres de cette affaire d’Ouglitch, ni qu’on se mêle de ses secrets d’état... D’un autre côté, si ce prétendu Zaporogue court le pays de la sorte, c’est qu’il a sans doute un parti puissant... Il a ses poches pleines d’or... S’il réussissait, il ferait la fortune de ceux qui l’auraient aidé... Il faut étudier cet homme-là... Bon! le voici. (Entrent Yourii et Choubine.)

YOURII. — Oui, mon cher Choubine, je pars et tout (de suite. Nous autres gens des steppes, nous ne respirons pas à notre aise dans vos villes.