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population de l’Angleterre, du pays de Galles, de l’Écosse et des îles adjacentes s’élevait, en 1851, à 20,919,531 habitans ; elle n’était, en 1841, que de 18,655,981. L’augmentation est de 12 pour 100. Pour la période antérieure de 1831 à 1841, l’accroissement était de 13 et demi pour 100. Lorsque ces chiffres furent connus en Angleterre, ils excitèrent une très vive sollicitude : chaque parti s’efforça de les commenter à sa guise et d’y puiser des argumens plus ou moins fondés en faveur ou à l’encontre du système commercial qui a prévalu pendant ces dernières années. L’examen de ces débats exigerait de trop longs développemens ; il suffit de rappeler que, d’un commun accord, l’émigration ne fut point comprise au nombre des causes qui avaient pu diminuer le chiffre de la population. On évaluait que, de 1841 à 1851, elle n’avait pas enlevé à la Grande-Bretagne plus de 40,000 âmes, année moyenne, et que ce chiffre devenait insignifiant dans les résultats d’ensemble. Pour l’Irlande, au contraire, la population de 7,767,000 habitans, en 1831, s’était élevée, en 1841, à 8,175,000 ; en 1851, elle est descendue à 7 millions. La diminution est très forte, et si l’on considère que depuis quatre ans l’émigration enlève une moyenne de 200,000 âmes, on ne saurait nier que ce fait, indépendamment des famines qui ont désolé l’Irlande, n’ait entraîné la dépopulation que le dernier recensement a révélée.

Cette dépopulation est-elle regrettable ? Quoi que puissent dire les théoriciens qui ont étudié et prétendu fixer les bases de la richesse, conçoit-on qu’un peuple se trouve condamné à se multiplier indéfiniment sur le sol, alors que le sol lui manque, soit par suite d’une insuffisance naturelle, soit en raison des lois économiques qui régissent la propriété ? L’étendue totale de l’Irlande est de 20,170,000 acres[1], et, sur ce nombre, 15 millions d’acres sont cultivables, ce qui donne environ 10 acres par famille composée de cinq individus. Ainsi partagé, le sol est-il assez vaste pour procurer le bien-être ou seulement l’alimentation à tous ses habitans ? Dans d’autres contrées, la fécondité de la terre, l’amour du travail, le génie industriel, auraient sans doute secondé l’accroissement de la population ; mais il ne faut pas oublier qu’en Irlande l’industrie a été long-temps paralysée par la législation restrictive et jalouse de l’Angleterre, que les disputes religieuses et des calamités naturelles, telles que la maladie des pommes de terre, ont tari la source de la production, enfin que le peuple est malheureusement porté à l’indolence. Dès-lors, l’émigration n’est-elle pas le procédé le plus efficace et en même temps le plus humain pour rétablir la proportion exacte entre le chiffre des habitans et la puissance actuelle du sol, et la diminution constatée par le recensement de 1851 ne présage-t-elle pas, sinon un progrès de richesse, du moins une halte dans la misère, c’est-à-dire le premier symptôme d’une amélioration dans l’état social et dans la condition matérielle du pays ?

L’Irlande est peut-être la seule contrée au monde où la philanthropie proclame la nécessité de l’émigration. Cette nécessité s’exprime, impérieuse et trop éloquente, par la voix de la misère et de la faim, par les haillons, par le dénûment physique et la dégradation morale de tout un peuple. Il semble

  1. L’acre égale 40 ares et demi ; en d’autres termes, on compte environ 2 acres et demi pour un hectare.