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une pension, et lui permit d’accepter les conseils et les services des gentilshommes polonais.

Dans le même temps, une grande fermentation régnait parmi les Cosaques du Dniepr et du Don; un moine fugitif, nommé Grégoire Otrepief, soulevait leurs hordes au nom de Démétrius et pratiquait des intelligences dans les provinces du sud de la Russie. Ce moine, qui avait quitté Moscou en 1603, avait la réputation méritée d’un ivrogne et d’un vaurien. Il était en correspondance suivie avec l’imposteur, et son agent auprès des Cosaques, sur lesquels il avait obtenu un grand ascendant.

Boris, fort inquiet de l’accueil que le faux Démétrius recevait en Pologne et des mouvemens hostiles des Cosaques, imagina une ruse pour perdre l’imposteur. Il publia que cet homme n’était autre que le moine Otrepief; mais il ne dit pas un mot de l’agent qui soulevait les Cosaques. Plus tard, l’identité du faux Démétrius avec Otrepief étant devenue comme un article de foi en Russie, on voulut expliquer la présence simultanée d’un Otrepief sur le Don et celle d’un prétendant en Pologne, en supposant que le véritable moine avait donné son nom à un de ses complices en passant la frontière. Explique qui pourra les motifs d’un pareil changement. Au reste, assez long-temps après la mort du véritable Démétrius, le véritable Otrepief avait reparu dans sa ville natale, et il ne parait pas que, parmi les contemporains, l’invention de Boris ait trouvé la moindre créance.

Le prétendu tsarévitch, ayant levé quelques troupes en Pologne, entra en Russie, fut reçu à bras ouverts par les paysans et surtout par les Cosaques, battit une armée de Boris, fut battu à son tour; mais, sans perdre courage, il continua la guerre pendant plus d’une année et fit si bien qu’il séduisit les troupes de son ennemi, et les attira sous ses drapeaux. Boris eut le bonheur de mourir quelques jours avant cet événement décisif. Son fils Fëdor fut déposé par les Moscovites, puis étranglé par quelques boyards pleins de zèle pour le nouveau maître, qui entra triomphant dans sa capitale.

Il régna un an. Dès son arrivée, il montra une aptitude singulière pour les affaires, une activité prodigieuse, et porta la pourpre avec l’aisance d’un prince né sur le trône. Cet imposteur était un grand homme. Il voulut réformer les abus et civiliser son pays; mais il n’avait que vingt-trois ans, et, sans mesurer la grandeur des obstacles, il prétendit faire tout à coup et de primesaut tout ce que Pierre-le-Grand fit plus tard, graduellement et avec une prudente lenteur. L’imposteur était naturellement doux et humain, et les règnes d’Ivan-le-Terrible et de Boris avaient habitué les Moscovites à n’obéir qu’à un maître toujours entouré de bourreaux. En pardonnant à des rebelles qui avaient comploté contre sa vie, il encouragea les conspirations. D’ailleurs, bien qu’il ne se mît nullement en peine de tenir les promesses faites au pape et au roi de Pologne, il scandalisa les dévots et les bons patriotes par des plaisanteries déplacées contre les superstitions et les coutumes nationales, et par une imitation irréfléchie des habitudes élégantes de la cour polonaise. Il s’habillait en hussard; il manquait à saluer les images des saints; il donnait des bals et des mascarades; il avait sa musique; il mangeait du veau. Le pire fut qu’il épousa Marine Mniszek, polonaise et catholique, et qu’il attira quantité de ses compatriotes à Moscou. Marine, jeune personne capricieuse et