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colonel Mure, les commentaires du docteur Arnold sur Thucydide, et nombre d’autres bons ouvrages, parmi lesquels je rangerai la Grèce sous la domination romaine, par M. Finlay lui-même.

Dans son dernier volume, il est vrai, M. Finlay ne s’occupe plus de l’antiquité grecque. Il pénètre sur un autre terrain qui a été en grande partie défriché par des Français qu’il cite à chaque page, par Ducange et surtout par M. Buchon. On sait avec quel dévouement persévérant M. Buchon s’était voué à l’étude des principautés françaises établies en Morée à la suite de la quatrième croisade. L’histoire qu’il en a donnée, les anciennes chroniques qu’il a exhumées ou rééditées, ses recherches personnelles enfin dans les archives de l’Italie et sur le sol grec ont fait de ses travaux le point de départ des historiens à l’égard du moyen-âge grec. Pour sa part, M. Finlay doit beaucoup aux découvertes de M. Buchon, et, au point de vue des matériaux révélés à la science, il ne l’a point éclipsé; mais son attention était portée d’un autre côté, et son sujet n’est plus le même. Au lieu de concentrer son attention sur la principauté d’Achaïe et sur le duché d’Athènes, M. Finlay a voulu embrasser dans son cadre les établissemens des Vénitiens, le royaume lombard de Salonique, le despotat grec de l’Épire et la province byzantine de Morée, où les empereurs grecs parvinrent à rétablir leur autorité aux dépens des conquêtes des Latins. Bien plus, il a jeté un regard en arrière sur les grands traits de l’histoire byzantine : la suppression des institutions municipales, l’affermissement de l’autorité impériale, et l’intime union de l’église orthodoxe avec la nationalité grecque. Il a aussi consacré plusieurs chapitres au servage, à la condition des diverses classes, aux races étrangères qui avaient envahi ou colonisé le pays et qui devaient être plus ou moins absorbées par l’ancien élément hellénique. Puis, après avoir retracé l’invasion des croisés et la destinée de l’empire latin de Romanie, il a séparément passé en revue les principaux débris du monde byzantin qui parvinrent à s’organiser en gouvernemens distincts sur le continent européen. De la sorte, son œuvre embrasse le tableau complet des luttes de la féodalité contre la civilisation gréco-romaine. En outre, M. Finlay a essayé de reconstruire l’histoire de Trébizonde dont M. Buchon ne s’était pas occupé, et il a incidemment fait rentrer dans son sujet les tribus musulmanes qui, par leurs conquêtes dans l’Asie Mineure, se préparaient à déborder sur la Grèce européenne.

On a souvent répété que le but de l’histoire était de demander au passé des enseignemens à l’usage du présent. Ce n’est pas tout-à-fait cet axiome que nous voudrions appliquer à M. Finlay. Quant aux historiens eux-mêmes, les faits qu’ils examinent sont rarement la véritable source où ils puisent les sympathies avec lesquelles ils jugent. Au contraire, ce sont les événemens de leur temps et toutes les circonstances au milieu desquelles ils vivent qui forment le plus souvent jusqu’aux tendances et aux convictions d’après lesquelles ils apprécient les épisodes de leur sujet. D’ailleurs, rien n’est dangereux comme les enseignemens du passé, dans le sens que l’on donne généralement à ces mots. On est sûr de se tromper quand, d’après l’histoire d’un peuple, on pré- tend conclure quelle est la valeur absolue d’une institution, quels sont les effets qu’un arrangement social doit produire uniformément en tout temps et en tout lieu. Pour juger la méthode de M. Finlay, j’aime mieux partir d’un autre principe. La principale utilité de l’histoire, dirai-je, c’est de nous arracher à l’illusion qui nous fait trouver tout naturel ce que nous avons toujours vu ;