Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/991

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À tout prendre, il est clair que le bon sens du goût, en fait d’art, est fort répandu en Angleterre ; nous voulons dire qu’on y trouve en abondance ce genre de goût qui est le produit de l’éducation et d’une dose raisonnable d’intelligence : — la très grande majorité des peintures et des sculptures qui s’offrent au regard en tout pays ne sort pas d’une source plus profonde ; — mais, quant à savoir si des germes de grandes qualités y dorment sous le sol, c’est là une question que nous voulons laisser ouverte.

Que les élémens d’un vigoureux génie ne manquent pas aux hommes du sol, ce n’est pas là ce qui peut faire doute : Bacon, Newton, Shakspeare et Milton n’ont pas été des excroissances maladives du développement national ; ils ont été des membres géans du tronc vivace, des membres sains et composés des mêmes tissus, seulement immenses. La race d’ailleurs s’est fait connaître par la grandeur et l’audace de ses entreprises industrielles, et c’est là encore une supériorité qui procède en bonne partie d’une même fécondité d’énergie créatrice. — Cependant, d’un autre côté, la peinture, comme la musique, a des exigences à part, et, jusqu’à l’avènement d’une victoire signalée qui n’a pas été remportée encore, rien ne prouve que ces deux domaines soient aussi accessibles que d’autres aux conquêtes du génie anglais.

Pour notre part, la peinture et la musique nous semblent présenter des analogies sans nombre ; leurs rapports sont si intimes, qu’elles se servent d’une phraséologie à peu près identique. La proportion dans laquelle l’imitation peut se mêler à l’art plastique, quand elle ne fait pas absolument corps avec lui, constitue sa principale différence d’avec la musique, où toute prétention imitative est un barbarisme. Et encore le peintre ne peut-il produire une œuvre réellement supérieure sans se rapprocher presque entièrement du musicien, en d’autres termes, sans réduire à très peu de chose le rôle que joue l’imitation au milieu de ses autres intentions. Harmonies de sons, harmonies de lignes ou de couleurs, il faut que l’impérissable lyre, l’ame humaine, réponde par une même corde bien vibrante et bien importante à ces divers accords ; car il y a long-temps déjà que les hommes ont indissolublement associé les trois arts et reconnu dans leurs inspirations le souffle d’une même puissance.

Cette sensibilité, dont la musique est probablement l’énonciation la plus simple, tout nous porte à croire qu’elle est générale, universelle même, quoique accordée à chacun dans des proportions différentes. Les plus antiques traditions de notre race s’accordent à nous le dire comme les observations les plus récentes : le don d’apprécier les sons et d’être agréablement affecté par certaines combinaisons harmoniques est un privilège humain de tous les temps et de tous les lieux. La mélodie, que nous considérons comme une harmonie consécutive,