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a plus de largeur et un sentiment plus profond de la solennité des bois. Les paysages de M. Lee sont en grand renom, mais ils pèchent par trop de facilité, péché où conduit inévitablement un long et fréquent usage de la brosse. Ce que nous faisons vite et bien est pour nous agréable à faire. Par la splendeur nourrie de leur couleur, les pages de M. Linnell se rapprochent de l’école poétique, en même temps que leur vérité d’effet et leur conformité avec les sites naturels les empêchent de tomber dans la féerie. Pour venir aussi magistralement à bout d’une pareille combinaison, il faut une réunion de facultés qui sont rarement départies à un même homme. De fait, ce n’est rien moins que la somme des perfections et des difficultés de la peinture. Quant à M. D. Roberts, il soutient avec honneur son titre d’académicien par deux grandes et belles vues de Venise et d’Anvers ; de plus, il s’assure la palme de la perspective par un magnifique tableau de la Grande Nef de la cathédrale de Saint-Étienne à Vienne.

Nous arrivons aux régions populeuses de l’art, où abondent les petites toiles et où le mérite devient assez commun. À Londres comme à Paris, les palettes enfantent des paysages, des intérieurs et des natures mortes avec une fécondité qui appelle l’attention, et cela seul donne à penser que l’enfantement doit aller vite et coûter peu. Évidemment, l’inertie des objets représentés simplifie de beaucoup la tâche du peintre. La coloration immobile et les contours que nulle vie ne fait palpiter peuvent être épelés à loisir, et l’œil, — même en n’effleurant que les surfaces, même en n’ayant pas derrière lui une cervelle active pour le stimuler, — recueille aisément tout ce qu’une imitation purement matérielle s’inquiète de reproduire. Avec cela, avec cela seul, et sans que l’imagination ou aucune des facultés plastiques d’ordre supérieur ait pris part à l’incubation, — l’œuvre peut déjà prendre une forme très recommandable. Comme résultat, elle peut être une bonne chose à sa manière. Que l’on jette les yeux sur les enseignes et les devantures des magasins de Paris, on y apercevra à chaque pas des comestibles et des emblèmes, des natures mortes qui sont réussies au point de tromper les passons. Il faut donc admettre que, pour arriver à un pareil résultat, il suffit d’une moyenne de capacités qui est loin d’être rare. Si c’était là tout l’art, il ne serait pas difficile d’être un artiste de génie ; mais l’art n’est pas là tout entier, comme plus d’un l’a prouvé, même dans ses natures mortes et ses intérieurs. Du moment où un peintre supérieur s’empare de ces choses inertes, elles prennent soudain une portée tout autre. Il n’est plus question du trompe-l’œil, ce hochet du public ; les objets ne prétendent plus avoir sur la toile le relief et l’aspect de la réalité. Ils sont devenus les interprètes des sensations et de l’imagination de l’artiste, les conducteurs électriques qui transmettent aux spectateurs une partie de ses brillantes visions. — Touchés par le doigt de Prométhée, ils ont dépouillé