Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/987

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cependant revient à un Écossais, à sir J.-W. Gordon, dont les six portraits attestent une main ferme, guidée par une connaissance consommée de l’art. Les physionomies y sont naturelles et expressives ; l’ensemble est d’un effet mâle et digne.

Comme la représentation de tout ce qui a vie est la grande difficulté de l’art, nous pouvons, avant d’en venir aux paysages et aux natures mortes, placer ici les animaux tout après l’homme, et sans offense pour lui. Sir Edwin Landseer, dont la verve et l’imagination poétique sont bien connues à Paris, n’a pas exposé cette année ; mais ses sites favoris, les montueux paysages d’Ecosse, n’ont rien perdu de leur sauvage rudesse sous le pinceau de M. Ansdell, qui pourrait bien en outre ne pas se borner à l’égaler dans la peinture des hôtes de ces solitudes : le daim, le chien, le mouton des montagnes, et le pâtre presque aussi inculte et aussi farouche. Néanmoins les artistes anglais ne semblent pas atteints de cette passion pour les animaux et pour la chasse dont on fait l’attribut général de leurs compatriotes. Les sujets d’animaux, en somme, sont peu nombreux à l’exposition, et ceux qui s’y trouvent n’ont pas de traits bien saillans.

Dans le paysage, mêmes traces du mouvement de reflux que nous avons signalé. En dehors des calques faciles et vulgaires auxquels le genre se prête, Turner, on ne l’a pas oublié, avait amplement fait voir quels espaces il peut offrir à l’imagination et aux effets poétiques. À Paris même, la gravure a permis de juger ses créations, un peu fantastiques, mais magnifiques. Pour le moment, toutefois, ce n’est pas Turner qui fait école à l’Académie de Londres. Les préoccupations actuelles de l’art anglais se traduisent, chez ses successeurs, par une interprétation plus patiente de la réalité, par une sobriété générale de ton et par une façon de peindre fort inaccoutumées jusqu’ici dans le paysage anglais. Il semble qu’il y ait eu comme un sentiment unanime qu’il convenait de puiser de nouveau au grand trésor de la nature, afin de remplacer les matériaux que l’imagination avait une fois pour toutes transformés et façonnés. Ce que nous avons déjà eu occasion de remarquer, nous pourrions encore le répéter ici : les paysages aussi confirment la vieille vérité, que les convictions ou les passions de fraîche date vont facilement aux ardeurs immodérées ; cependant ils font également foi que nombre des plus ardens coureurs ont été de force à diriger l’entraînement qui les poussait, que le discernement chez eux a réglé l’enthousiasme. Parmi les œuvres où une sincérité passionnée est ainsi unie au jugement et aux grâces d’un sentiment réel de l’art, celles de MM. Creswick et Redgrave méritent d’être hautement distinguées, non-seulement pour leur vérité, mais aussi pour leur intérêt poétique et la fraîche transparence de leur couleur. Avec sa scrupuleuse imitation de la réalité, M. Anthony n’est pas loin de la première manière, détaillée et cherchée, de M. Cabat, à cela près qu’il