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modernes, fort prisées, qui doivent toute leur importance à cette grandeur, et dont la médiocrité absolue à tout autre égard n’aurait réussi, sur une plus petite échelle, qu’à tuer sous elle tout peintre qui n’eût pas eu un nom pour salut.


II

Quoique bon nombre des compositions exposées à Londres cette année visent au grand art, il n’en est pas plus d’une où le résultat ait quelque peu répondu à l’intention, où l’artiste semble avoir su comment attaquer une œuvre épique, — et l’auteur de cette toile est un élève de l’école française, M. Armitage. Son Agar dans le désert rappelle beaucoup des bons traits de ses maîtres ; elle est dessinée avec puissance et savamment modelée ; elle respire une sauvagerie et une sombre vigueur qui s’accordent bien avec la tristesse de l’épisode. Mais les sujets sacrés exigent de l’artiste ou un sentiment religieux fort intense, ou une organisation particulièrement douée pour la grandeur et l’élévation. Si un souffle de pieuse ferveur n’y répand pas cette expression pure et chaste qui sanctifie jusqu’aux humbles personnages d’un Hemelink ; si, à son défaut, un caractère de majesté solennelle ne vient pas remplir la toile, comme dans les chefs-d’œuvre italiens, alors le résultat obtenu est simplement le magnifique monument d’une défaite complète, d’une défaite d’autant plus évidente que le peintre a fait acte de plus de ressources plastiques. L’œuvre est allée haut, mais il lui manque l’unum necessarium : il lui manque ce qui, du rang des choses habiles, l’eût élevée au sublime.

À envisager ainsi ses exigences, l’art religieux généralement n’a pas fait jusqu’ici grande figure dans l’école anglaise. Ce n’est pas que la foi manque cependant : l’Angleterre est incontestablement un des pays les plus religieux du globe ; mais sa ferveur se tourne en entier vers la prière et la prédication, et elle a été si bien façonnée par la réaction de l’époque puritaine, que maintenant encore le sentiment général répugne à la mise en scène des personnes divines. D’un autre côté, les habitudes qui ont jusqu’ici prévalu dans l’art, comme nous l’avons vu, ont jeté les talens loin des sévères études qui peuvent seules, par leur discipline, préparer l’artiste aux hauts essors. Comme conséquences, il y a cette année à l’exposition une vingtaine de toiles au plus à qui la Bible a servi de texte, et en exceptant l’Agar, avec une ou deux autres, toutes laissent entrevoir que le sujet religieux a été choisi un peu par accident. Le peintre l’a adopté parce qu’il prêtait à quelque effet de couleur ou de disposition ; son principal but n’a pas été de frapper sur les cordes solennelles et mystérieuses qui répondent à de pareils thèmes.

La peinture historique de même n’a proportionnellement que peu