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étranger, à l’exception des citoyens appartenant à la Libéria ou à la Société de colonisation américaine, ne pourra posséder, acheter, louer ou se faire concéder quoi que ce soit dans le pays de Kroo. Cette condition avantageuse, indépendamment de ce qu’elle ouvrait un large débouché à la Libéria, lui assurait une grande exportation de camwood et d’huile de palme, et la débarrassait des inquiétudes que lui donnaient constamment les trafiquans étrangers.

En 1 844, M. le prince de Joinville visita la Libéria avec intérêt et y prit de nombreuses informations. L’année 1845 fut aussi marquée par un fait digne d’attention. Le chef Bah-Gay, qui commandait dans le pays de Petit-Bassa, se vit menacé par un voisin puissant qui voulait le contraindre à reprendre le trafic des esclaves. La population entière se souleva et demanda à entrer dans la communauté libérienne; l’annexion fut proclamée par le traité du 5 avril.

Les années 1846 et 1847 prendront la première place dans l’histoire du pays, puisque c’est pendant cette période que fut préparée et proclamée son indépendance. Nous avons vu que des difficultés avaient surgi à propos du refus que faisaient les trafiquans anglais de payer des droits au gouvernement de la colonie. Après d’assez longues négociations à Washington et à Londres, le gouvernement anglais finit par déclarer qu’il ne pouvait reconnaître à aucune société particulière, quelque respectable quelle fut d’ailleurs, le droit de prélever un tribut quelconque sur ses nationaux, et que, tant que la colonie de Libéria ne serait qu’une émanation de la Société de colonisation des États-Unis, les navires et les marchandises couverts du pavillon britannique n’y seraient soumis à aucune taxe. La position était fort délicate pour la Libéria, qui n’avait ni la force ni le droit à invoquer en sa faveur. Elle n’eut donc plus qu’une ressource pour faire consacrer son établissement : ce fut de proclamer son indépendance, malgré la faiblesse de sa population et l’exiguïté de ses ressources. La Société de colonisation des États-Unis abandonna généreusement toutes ses terres au nouvel état libre, et ne se réserva que la portion du territoire nécessaire aux progrès de l’émigration, avec un prélèvement de 10 pour 100 sur les ventes de terres applicables aux besoins de l’éducation. Le peuple fut alors consulté, une convention réunie, une constitution rédigée, et la déclaration fut faite et envoyée à toutes les nations civilisées. Enfin, le 24 août 1847, après un service religieux solennel, on hissa le pavillon national libérien[1], et le nouvel état entra dans l’ère de son indépendance politique, civile et religieuse.

Le peuple ayant pleinement accepté la constitution, les premières élections eurent lieu le 27 septembre. Joseph-J. Roberts fut nommé président pour deux ans, et Nathaniel Brander vice-président. Quelques semaines après, l’escadre américaine des côtes d’Afrique et un sloop de guerre anglais vinrent en race de Monrovia reconnaître la nouvelle république et saluer le pavillon

  1. Le pavillon libérien se compose de six bandes rouges et cinq blanches alternant dans le sens longitudinal; — en haut, dans l’angle gauche, un carré bleu couvrant cinq bandes avec une seule étoile blanche au milieu. Le sceau de l’état représente une colombe volant, et dans ses pattes une légende; une mer avec un navire sous voiles et le soleil levant; un palmier ayant à son pied une charrue et une bêche. Autour de ces emblèmes les mots : République de Libéria, et la devise nationale : The love of liberty brought us there (l’amour de la liberté nous a conduits ici).