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affectait de se dérober aux vivats populaires. Voici d’ailleurs comment : « Dans une de ses tournées, dit un historien du pays, M. Hérard-Dumesle, dans une de ses tournées, où il était accompagné de l’amiral anglais, sir Hom Popham, il ordonnait aux inspecteurs de culture de rassembler aux barrières des habitations les malheureux dont il dévorait le prix des sueurs. Cette mesure prise, il avait l’air de partir fort avant le jour comme pour se dérober aux hommages empressés d’un peuple qui l’adorait ; mais le bruit des chevaux et des voitures avertissait les royal-Dahomets de préparer les malheureux ainsi mis en station après un travail forcé durant tout le jour ; éveillés à coups de bâton, le cri de vive le roi ! venait expirer sur leurs lèvres et vérifiait ce qu’a dit un historien philosophe dans un ouvrage digne des beaux jours du XVIIIe siècle, que les acclamations ne sont pas les plus fidèles témoignages des sentimens d’un peuple ! » Dans l’opéra, les coups de bâton n’ont, bien entendu, rien à faire ; mais M. Bayacou, qui force bruyamment le roi à trinquer à la santé, et qui, dans l’entraînement de son enthousiasme, ne se fait pas scrupule d’entonner en l’honneur de Christophe une chanson composée en l’honneur de Louis XVIII[1] ; M. Bayacou, dis-je, l’échappe belle sans s’en douter. Il pouvait prendre, par exemple, fantaisie à Christophe (et c’est ainsi qu’il en usa avec le futur président Riché) de mettre à l’épreuve le dévouement du bonhomme en lui faisant sabrer, séance tenante, Mlle Céliflore et Mme Bayacou. Par bonheur encore pour M. Bayacou et le chevalier de Zulimbo, il est un point, un seul point, où l’Henri de l’opéra haïtien diffère de son prototype français. Bien que Christophe, pour emprunter ses royales expressions, aimât fort à « coopérer à l’union

  1. Le Chant royal. Rendons cette justice au poète haïtien qu’il y a ajouté deux ou trois couplets de son crû, entre autres celui-ci, qui est d’une assez bonne venue :

    Vive le roi ! Qu’à ce mot tout tressaille !
    Chez l’ennemi qu’il répande l’effroi !
    Ce noble cri raffermit nos murailles,
    Il nous ranime au grand jour des batailles :
    Vive le roi !