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tous les hauts emplois, et à détruire le principe d’un établissement qui portait en lui d’incontestables germes de fécondité.

Le nouveau gouverneur, M. Buchanan, et la législature libérienne s’occupèrent d’abord d’organiser le service des postes, puis ils émirent des résolutions au sujet des asiles, des maisons d’éducation; enfin la machine fonctionna régulièrement et utilement. Quelle était toutefois la position réelle de la colonie à cette époque où elle commença à vivre de la vie des nations? Il est assez difficile de le savoir d’une manière précise, soit que l’on ait négligé les détails statistiques, soit qu’on ait cru préférable de ne pas publier le chiffre bien faible encore de la population qu’avaient pu, après dix-huit ans d’efforts et de dépenses, réunir les diverses sociétés de colonisation américaine. On trouve bien, dans les documens publiés, que la Libéria comptait alors neuf villes, et qu’elle pouvait mettre à la disposition des colons 500,000 acres des terres les plus fertiles, qu’il y avait quatre imprimeries et deux journaux, vingt et une églises avec trente ministres, dix écoles de tous les jours et d’autres pour le dimanche; mais nous sommes beaucoup moins édifiés sur la population, le commerce, la production agricole et la marine : en portant la population totale à trois ou quatre mille individus émigrés des États-Unis, on ne saurait être cependant fort loin de la vérité.

En 1841 mourut le gouverneur Buchanan, auquel succéda M. Roberts. Les premiers momens de l’administration de ce nouveau chef furent occupés par les soins à donner à l’instruction publique, qui prenait une grande extension. Les naturels eux-mêmes attiraient les missionnaires et envoyaient leurs enfans dans les écoles de Libéria, quand ils le pouvaient. On fut ensuite obligé de faire régler des difficultés qui survenaient avec les bâtimens anglais qui fréquentaient la côte d’Afrique, et prétendaient arguer de traités faits antérieurement avec des chefs de l’intérieur pour commercer à leur guise sans payer aucuns droits au gouvernement de Libéria. Puis, des discussions s’étant élevées entre des chefs indigènes, le gouverneur Roberts intervint comme médiateur et rallia tous les intéressés à un traité d’amitié et d’alliance avec la Libéria après les avoir conciliés entre eux. Ce traité fut un véritable triomphe pour la Libéria, car toutes les parties intervenantes s’engageaient à supprimer à jamais le commerce des esclaves sur leur territoire, et à ne plus user, dans les procès criminels, des abominables épreuves par le poison ; les lois de la colonie libre devaient être seules appliquées.

Ce traité, aussi remarquable par les sentimens d’humanité qu’il révélait chez de petits tyrans indigènes jusqu’alors inaccessibles à la pitié que matériellement avantageux pour le nouvel état, auquel il conquérait d’utiles alliés, fut signé le 22 février 1843. Un autre, non moins utile, fut conclu la même année avec les habitans du pays de Kroo, qui s’étend depuis Sinou jusqu’à trente milles vers le cap Palmas. La population, évaluée de trente à quarante mille âmes, est à la fois honnête, active, économe et industrieuse. Les habitans du pays de Kroo sont les meilleurs marins et les pilotes indispensables de la côte, qu’ils parcourent sur une longueur de quinze cents milles. Ils ne se sont jamais livrés directement au commerce des esclaves, mais ils sont les auxiliaires obligés des traitans, qui ne pourraient rien faire sans eux. La convention entre le chef de Kroo et le gouverneur Roberts stipule qu’aucun