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pour ôter à ses négociations toute apparence de révolte contre l’autorité constituée et de trahison, dut exiger de la part du gouverneur une démission formelle qui transférât au général leur chef de l’armée les pouvoirs politiques d’un dictateur civil. Aussi long-temps que Kossuth restait investi de l’autorité suprême, Goergei ne pouvait espérer stipuler vis-à-vis des Russes d’autres intérêts que ceux de son armée. À quel litre en effet aurait-il essayé d’obtenir des garanties pour la nation hongroise, n’étant point dictateur lui-même ? Aurait-on voulu par hasard, qu’il se donnât pour le représentant de ce gouvernement provisoire que les Russes avaient toujours refusé de reconnaître, et dont les dépêches diplomatiques n’étaient jamais parvenues au camp du maréchal Paskiewistch que sous le firman militaire de Goergei ? L’abdication de Kossuth n’eut donc pas d’autre objet que de mettre Goergei en situation de faire, comme général et chef politique du pays, ce que lui Kossuth ne pouvait faire ni comme général, puisqu’il ne commandait point aux troupes, ni comme chef politique, puisque les Russes ne le reconnaissaient point en cette qualité. Il abdiqua donc et disparut aussitôt, comme par une trappe, du théâtre de ses derniers exploits ; mais le Parthe, enfuyant, lançait sa flèche sous forme de proclamation. J’ai dit qu’en sauvant ses jours Kossuth avait surtout à cœur de ménager sa popularité ; tel est le sens qui se cache dans les paroles pleines de ruse et de perfidie à l’endroit de Goergei qu’il adresse à la nation hongroise avant de quitter la forteresse d’Arad. Le sublime de ce document, chef-d’œuvre d’astuce et de rouerie, c’est de prétendre faire croire à ce malheureux pays qu’il peut encore être sauvé par les armes, et, en désespoir de cause, obtenir tout d’une négociation pacifique habilement conduite. On voit quelle responsabilité menaçante cette proclamation posthume s’évertue à rejeter sur Goergei, dont elle travaille d’avance à faire ce fameux bouc émissaire que tant d’honnêtes dupes ont encore aujourd’hui dans une si sainte horreur.

C’est ainsi qu’en partant je te fais mes adieux.

Sauver le pays par les armes ! après l’entière mise en déroute de Bem en Transylvanie, après les défaites de Nagy-Sandor à Débreczin, de Dembinski à Témeswar ! sauver le pays par les armes, au milieu de l’immobilité et du silence de l’Europe, désormais à peine sympathique pour une cause dont la révolution s’était bruyamment emparée ! Garantir l’existence politique de la Hongrie, le salut de ses libertés, négocier sur des bases avantageuses avec qui ? Avec les Russes partout victorieux, partout maîtres du terrain. « Je répondis à Széméré, écrit Goergei, que je n’avais rien à faire dire aux Russes, parce que j’étais persuadé qu’ils ne traiteraient pus avec nous ; et si cette conviction