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mystère, il la pratiqua dès le commencement au vu et su de chacun, de Kossuth tout le premier, qui ne la désapprouvait pas, du moins ouvertement. Quel sens autrement faudrait-il attribuer à cette visite au quartier-général de Nyir-Adony (le 1er août) des ministres Széméré et Casimir Batthyanyi, chargés tous deux officiellement de s’entendre avec Goergci sur les moyens d’offrir la couronne de Hongrie au duc de Leuchtenberg, et de sauver, en la mettant sous la protection de la dynastie des Romanow, cette indépendance de la patrie pour laquelle il était bien reconnu désormais que le manifeste révolutionnaire du 14 avril ne pouvait plus rien ? Il y a certaines illusions dont jamais, si optimiste qu’on le suppose, Kossuth ne fut la dupe ; par exemple, il est impossible d’imaginer qu’il ait cru même un seul instant que la Hongrie soutiendrait à elle seule le double choc de la Russie et de l’Autriche. Non, cette prétendue confiance n’était chez lui qu’une affaire de mise en scène. Voyez, à dater du 14 avril, quel mal il se donne pour tromper la nation sur les dangers qui la menacent du côté de la Russie, dangers sur lesquels il réussit à endormir si bien son monde, que le général Rem lui-même, jouet de cette parole illusoire, perd les défilés de Transylvanie avant de s’être douté seulement qu’ils fussent au moment d’être attaques. Voyez avec quel aplomb incroyable il parvient à persuader à ce malheureux pays que lui, Kossuth, exerce sur la politique générale de l’Europe une influence énorme à l’aide de laquelle il doit finalement (je cite ici ses propres expressions), sinon aboutir à vaincre la coalition austro-russe, du moins procurer à son pays une paix honorable achetée sans doute au prix de cruels et nombreux sacrifices, mais qui aura pour résultat de garantir la liberté. Ainsi, même avec cette intervention tant annoncée de la France, de l’Angleterre, des États-Unis et de la Turquie, point de victoire définitive, mais tout simplement une paix honorable achetée au prix de nombreux sacrifices ! C’est, il faut l’avouer, se montrer modeste en ses ambitions, et un pareil homme aurait jamais pu croire de bonne foi que son peuple, comme il l’appelait, était assez fort pour battre à lui seul les Russes et les Autrichiens ! Quelle plaisanterie ! Kossuth a de ces retours qui vous confondent en vous laissant voir à tout instant le comédien narquois et vantard à côté de l’homme politique capable, je ne dirai pas de mener à bout, mais d’entreprendre de grands desseins. Les expédiens, voilà son vrai cheval de bataille. « Si Dieu nous refuse son secours, que le diable nous vienne en aide ! » J’ignore si ce mot qu’on lui attribue est de lui, en tout cas il le peint à merveille. Républicain à Débreczin, nous le voyons brusquement se convertir à la foi monarchique et mettre la couronne de saint Etienne aux pieds du gendre de l’empereur Nicolas. Athée, ou pour le moins sceptique en matière religieuse, il recommande publiquement le jeûne et les macérations comme un