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l’ordre formel qu’il reçut du gouvernement d’enlever Ofen à tout prix. Lui-même évite de s’expliquer là-dessus dans ses mémoires. S’il en était ainsi, nous aurions à signaler une contradiction de plus dans la conduite de ce personnage trop souvent énigmatique. Le siège d’Ofen impliquait en effet l’entier abandon du plan de campagne entrepris à la poursuite des Autrichiens, et qui jusque-là semblait lui réussir. Pour attaquer Ofen et l’emporter d’assaut, il ne fallait rien moins (l’issue de cette affaire l’a démontré) qu’une armée au complet ; or il était évident qu’après avoir payé le sanglant tribut qu’un pareil exploit exigeait, les troupes hongroises ne se trouveraient plus en état de se mesurer en rase campagne avec une armée autrichienne de cinquante à soixante mille hommes. L’armée madgyare de l’ouest, sous les ordres des généraux Damjanich, Klapka, Guspar, Aulich, ne s’élevait pas, après les rudes pertes essuyées à Halvan, Aszad et Tapio-Biske, à plus de soixante mille hommes, et de ce nombre il fallait détacher une bonne partie opérant sur le Bas-Danube et trente mille hommes concentrés sous la main de Goergei pour le siège d’Ofen et l’occupation de Pesth. Restaient donc vingt-cinq mille hommes disponibles pour continuer le plan de campagne commencé contre les Autrichiens. Vouloir poursuivre l’ennemi et tenter une invasion sur son territoire avec un contingent si minime eût été un acte de folie, et personne n’y songea. Aussi long-temps donc que le siège se prolongea devant Ofen, toutes les opérations de l’armée de l’ouest furent paralysées, ce qui mit l’armée autrichienne en mesure de remonter son moral, de réparer ses brèches et de prendre sur le Danube cette position forte et décisive dont nous parlions. Au commencement de mai, lorsque le général Welden fut rappelé et que le jeune empereur prit le commandement en chef, les troupes impériales s’élevaient à soixante-dix mille hommes. Dès le 5 mai, de légers mouvemens d’offensive furent essayés sur Raab et sur divers points de la ligne d’opérations de l’ouest, non qu’on se proposât de pénétrer de nouveau dans l’intérieur du pays, mais pour tromper les Hongrois par des semblans d’attaques qui les maintiendraient en respect, et donner au corps d’invasion russe le temps de se masser sur la frontière.

Tels étaient les menaçans auspices sous lesquels Goergei entreprit sa dernière campagne. Kossuth, dont les rancunes ne pardonnaient pas, voulut d’abord, contre l’avis du jeune général, faire de Szegedin le point stratégique des opérations de l’armée hongroise, ce qui paraissait à Goergei le comble de la déraison tant que Témeswar n’aurait pas capitulé et que Jellachich garderait ses positions. Rien n’est plus ridicule, ajoutait-il, que de vouloir manœuvrer en front, lorsqu’on est à la fois menacé par le flanc et sur les derrières ; on devait au contraire établir à Komorn le pivot de ses mouvemens, et de là s’efforcer de porter