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national, et transformait en guerre de principe une guerre d’indépendance ? Sans doute le coup d’état du 14 avril ne constituait pas ouvertement la Hongrie en république ; sur la forme ultérieure du gouvernement, on ne s’expliquait pas ; on se contentait pour le moment de proclamer la séparation. Or une Hongrie indépendante, dans les conditions où se trouvait le monde à cette époque, ne pouvait avoir la prétention de se fonder et de vivre qu’en s’appuyant sur un nouveau système d’équilibre européen, le système républicain fédéral, par exemple, remplaçant le système monarchique. Une république du Danube entraînait fatalement l’existence d’une république allemande et d’une république italienne. À dater de l’acte incendiaire de Débreczin, il était évident qu’une guerre simplement défensive ne pouvait plus sauver la Hongrie. Il fallait désormais franchir ses frontières et promener la révolution du nord à l’orient, de l’orient au couchant ; il fallait jeter une armée en Gallicie pour y proclamer la résurrection de la Pologne ; il fallait attirer à soi, par la perspective d’une république roumane, les populations hostiles de la Transylvanie et de la Valachie, faire appel aux Serbes de la Hongrie et de la Turquie, aux Croates eux-mêmes, et changer de mortels antagonistes en amis, en alliés, par le talismanique appât d’une république illyrienne fédérale ; il fallait conduire dans Vienne ses régimens victorieux, anéantir la couronne impériale et planter sur la flèche de Saint-Étienne l’étendard triomphateur de l’Allemagne révolutionnaire, mais avant tout et surtout il fallait renoncer à l’idée madgyare et dire adieu au fantôme tant caressé de l’antique tradition féodale.


II

Les conséquences de la déclaration du 14 avril, si elles échappaient à l’incorrigible optimisme de Kossuth, préoccupèrent plus d’un membre de la diète de Débreczin. Quant à Goergei, il n’avait pas attendu que la bombe éclatât pour en calculer froidement les désastreux effets. J’ouvre le second volume de ces édifians et curieux mémoires, et j’y trouve cette conversation, qui mérite d’être consignée ici. C’était le 7 avril 1849 (quelques jours avant le coup d’état) : Kossuth et Goergei se rencontrèrent à Godollo ; le président, après avoir complimenté le jeune général de ses récens exploits et parlé beaucoup de la reconnaissance éternelle du pays, emmena Goergei chez lui, et là tous deux eurent ensemble un entretien où les tendances de la politique de Kossuth se dévoilèrent.

« La patience de la nation est à bout, dit l’agitateur en commençant, et je ne vois qu’une manière de répondre à la constitution octroyée du 4 mars : c’est de proclamer la déchéance et la séparation de la Hongrie d’avec l’Autriche.