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pensez, continua le dictateur légèrement aigri, que nous ne ramènerions pas un seul homme de cette armée ? — Quant à ce qui regarde les gardes nationaux et les volontaires, répliqua Goergei, leur salut ne m’inquiète guère, et j’en ai pour garant la vélocité de leurs jambes ; mais le petit nombre de bonnes troupes dont nous disposons pourraient bien y rester, et avec elles le matériel qui nous est indispensable pour peu que nous voulions former une armée sérieuse ! »

Goergei s’était toujours prononcé contre la mesure qui consistait à maintenir des cordons de troupes sur la frontière. Il voulait qu’à l’exemple des Russes en 1813, on se retirât dans l’intérieur du pays, et que là les honveds, dûment rompus à la manœuvre, fussent mis en état de se présenter au feu. Lorsque le maréchal prince Windisch-Graetz marcha sur Pesth, Goergei songea un moment à se retrancher autour de Raab ; mais, pour occuper cette position formidable, les ressources étaient insuffisantes. Il lui fallut donc partager son armée en deux colonnes et se replier, laissant Buda-Pesth à l’ennemi. Pendant ce temps (20 décembre 1848), Perczel, emporté par la fougue de son tempérament et méconnaissant à son tour les instructions de Goergei devenu son chef, liait partie entre Moor et Sarkany avec l’avant-garde du ban, et se faisait battre dans une rencontre qu’il aurait dû éviter à tout prix pour se hâter de venir seconder le plan de concentration. « Sur la route qui mène de Tétény à Hanzsabég, je rencontrai les débris du corps d’armée de Perczel, et puis enfin Perczel lui-même. Du plus loin qu’il m’aperçut, il galopa vers ma voiture, et ma stupéfaction fut au comble quand j’entendis cet homme m’assurer, avec un ton de hâblerie inimaginable, que l’ennemi ne se remettrait pas de long-temps du rude coup qu’il venait de lui porter à Moor. » Il paraît cependant qu’à Pesth on ne partageait pas ce point de vue. À la nouvelle de la marche victorieuse des Autrichiens et de l’entière défaite du général Perczel, une déplorable confusion s’empara de la diète ; les orateurs de la gauche tonnèrent comme c’était leur droit : « Si l’ennemi, disaient-ils, a pu enlever ainsi Raab et Presbourg sans tirer une amorce, que signifiaient les fortifications pour lesquelles on nous a demandé tant d’argent ? De deux choses l’une : ou ce sont vos généraux qui ont démérité en livrant ces places, ou les coupables sont ceux qui passionnaient le pays pour obtenir de lui les millions nécessaires à l’exécution de ces fortifications impuissantes. » Le trait allait droit à Kossuth, qui, tant de fois, dans ses pathétiques homélies, avait prophétisé que l’armée autrichienne trouverait infailliblement son tombeau devant Raab. Quoiqu’il en soit, l’alerte fut assez chaude pour qu’on songeât à recourir aux grands moyens et surtout à déloger. Le lendemain, le général Goergei recevait de Kossuth une dépêche qui lui marquait, entre autres points principaux, qu’on se décidait à revenir à la voie des négociations,