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et silencieux jusque-là, s’éloigne du champ funèbre en murmurant d’une voix sourde : « C’était indispensable. Que cet exemple profite à d’autres ! »

Il s’était mêlé à cette triste affaire une histoire de bijoux restés soi-disant en la possession de Goergei et faite pour entacher en lui la probité du soldat. Attaquer le désintéressement de Goergei, autant vaudrait attaquer sa bravoure ; mais c’est un des caractères de la calomnie qu’elle se préoccupe médiocrement d’ordinaire de mettre ses mensonges en harmonie avec l’ensemble du personnage à qui elle s’attache. On avait donc raconté que le président du tribunal militaire de Csépel s’était adjugé bon nombre d’objets précieux appartenant au comte Eugène Zichy, sans doute, ajoutait-on ironiquement, afin de conserver au moins un souvenir de sa victime. Il va sans dire que les mémoires de Goergei réduisent ces misérables bruits à leur juste valeur. Ces bijoux, épingles, bagues, chaînes et cachets, il les a remis lui-même à Kossuth en mains propres. Il y a de plus dans cette histoire certains traits qu’il est bon de produire, ne servissent-ils qu’à démontrer qu’en cette guerre d’extermination tous les pillards n’étaient pas du côté des Croates, ainsi qu’on a prétendu trop long-temps le faire croire au public bénévole. « Arrivé à Kalöszd le 9 octobre (1848), j’y appris qu’un intendant du comte Eugène Zichy avait mis en réserve une quantité d’objets de prix ayant appartenu à son maître, et qu’il se proposait sans doute de soustraire à l’état, désormais seul héritier légitime des biens et propriétés du comte. Je me rendis donc aussitôt, en compagnie de mes officiers et d’un greffier, chez l’homme d’affaires désigné. Là j’ordonnai à mon escorte de cerner la maison, et des fouilles furent entreprises. C’était précaution inutile, car l’intendant m’avoua la chose sans détour, ajoutant qu’il se félicitait qu’une occasion s’offrît pour lui de se démettre d’une responsabilité qui commençait à l’inquiéter. Tandis qu’il s’empressait d’aller chercher les bijoux en question, j’appelai mes officiers restés en dehors de la chambre, et pris possession en leur présence de divers objets d’une grande valeur, lesquels, dûment enregistrés, furent renfermés et scellés dans leurs étuis. J’appris encore du même intendant que, sitôt après l’arrestation de son maître, un certain lieutenant Vasarhelyi était arrivé à Kalöszdt, que lui et sa bande avaient fouillé le château, vidé les coffres, décroché les armes de prix, et chargé de leur butin une riche calèche, qu’ils avaient attelée des quatre plus beaux chevaux des écuries du comte ; qu’en outre, quelques jours plus tard, immédiatement après la retraite des Croates, les officiers du colonel Perczel étaient venus renouveler ces scènes de vandalisme, et que depuis les caves du château étaient au pillage. » Après avoir pris des mesures pour empêcher de si honteux désordres, Goergei quitta Kalöszd,