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leur peu de besoins physiques et moraux, en présence surtout des dommages incalculables qui résulteraient pour tout le monde, et sans compensation aucune, d’une émancipation prématurée, je reste convaincu que la précipitation serait un crime et que la temporisation est un devoir. Il n’en convient pas moins de prendre en sérieuse considération les tentatives des amis éclairés de la race noire, la colonisation de Libéria par exemple, et de chercher dans la situation présente de cet établissement les indices de l’avenir qui est réservé à une fraction des plus intéressantes de la race nègre.

III.

Le 31 décembre 1816, à l’instigation de M. Elias Caldwell, on vit se réunir, sous la présidence du célèbre Henry Clay et dans le palais du Capitole à Washington, le premier meeting convoqué dans la pensée d’aviser aux moyens d’améliorer la condition des noirs et hommes de couleur libres aux États-Unis. Deux grands obstacles étaient principalement à surmonter, et, si l’on ne pouvait les aborder de front, il fallait au moins les tourner. Ces obstacles, c’étaient le préjugé enraciné des hommes de race blanche contre ceux de race africaine et l’apathie de ces derniers. Nous avons eu l’occasion de faire remarquer combien, malgré leur passion pour la liberté et leur haine apparente des distinctions sociales de l’Europe, les Américains du nord s’écartaient des principes vraiment libéraux en ce qui touchait les gens de couleur. D’un autre côté, il est hors de doute que le nègre éprouve une grande répugnance à quitter la terre qui l’a vu naître, la famille au sein de laquelle il a été élevé, le maître même qu’il a servi et dont il a reçu de bons traitemens. L’infériorité notoire de son intelligence, l’habitude de toujours compter sur autrui pour subvenir à ses besoins, la crainte d’un effort, sont autant de liens qui le retiennent et le détournent de tout ce qui sent l’aventure. Ces dispositions bien connues des noirs expliquent les difficultés de l’entreprise dont le meeting de 1816 posait le principe et l’insignifiance de ses progrès pendant un assez long espace de temps.

En 1820, on convint définitivement d’un mode d’exécution qui paraissait répondre aux principales objections. Il fut décidé qu’une ville serait fondée à la côte ouest d’Afrique et destinée à devenir le centre et la capitale d’un nouvel état peuplé d’hommes de race africaine élevés au niveau de la civilisation actuelle et dotés de la plénitude de leurs droits civils et politiques. Tel était le but que s’était proposé déjà la société organisée en 1816, sous le titre de Société américaine pour la colonisation des hommes de couleur libres des États-Unis[1]. Du reste, ni le lieu ni les moyens d’exécution n’avaient été précisés dans l’origine, et on laissait au temps et à la philanthropie éclairée des membres le soin d’indiquer les meilleures et les plus pratiques combinaisons. Quant aux ressources financières, on ne pouvait compter que sur des souscriptions particulières ; quelques états cependant accordèrent des subventions.

L’Afrique était la contrée qui se présentait en première ligne à l’esprit de

  1. American colonization society for colonizing the free people of colour of the United-States.