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et se rendre un compte exact de mainte physionomie restée douteuse de l’énigmatique Goergei par exemple, qu’il est temps d’aborder.


I

Arthur Goergei, né en janvier 1818 à Topportz, possession héréditaire de sa famille, dans le comté de Zips, appartient à une race noble où la bravoure est dans le sang. Nous voyons en 1512 un Stéphan Goergei battre à Rozgoni, près Kaschau, le puissant comte Mathieu de Trentschin, et, s’il nous plaît de remonter plus haut le cours des siècles, nous rencontrons, en 1240, un Arnold Goergei, comte de Zips en Saxe (cornes Saxorum de Scepus), lequel, pour services rendus contre les Tartares, reçut en donation les terres de Goergei et de Topportz, ainsi qu’une foule de domaines et seigneuries dans les Karpathes. Sa famille tient encore un rang considérable ; le grand-père d’Arthur Goergei était officier supérieur de cavalerie sous les drapeaux autrichiens, lorsqu’il fut tué en combattant contre la France dans les guerres de l’empire, et son père, -un lettré celui-là, grand partisan d’Horace, qui le suivait partout, — son père eut quatre fils, dont trois, le major Arnim, le général Arthur et le capitaine des honveds Stefan, ont pris part à l’insurrection madgyare. Sa mère était une femme forte, une vraie matrone de Sparte, et qui ne se souciait aucunement de poésie légère. S’il lui arrivait d’ouvrir un livre, c’était Herder ou quelque bon ouvrage d’éducation ou de médecine pratique, car les pauvres de la contrée avaient en elle leur providence, et rien ne lui coûtait quand il s’agissait de visiter un malade, d’assister un malheureux, et de promener partout les consolations de la science et de la charité. Ce que des enfans naturellement robustes et bien doués du côté de l’esprit durent retirer des leçons d’une telle femme, on le soupçonne. Leurs forces physiques se développèrent, ils se formèrent à l’obéissance, à la discipline, et leurs tempéramens contractèrent à cette école une vigueur puissante, une stoïque fermeté qui les aida plus tard à traverser les rudes épreuves des champs de bataille. Arthur touchait à peine à l’adolescence lorsque la noble dame mourut, lui léguant avec l’énergie du caractère cet orgueil patricien qui ne s’est jamais démenti. Le jeune Goergei entra d’abord au collège évangélique d’Épériès pour s’y livrer à ses études classiques ; mais bientôt, sa vocation guerrière l’entraînant, il se fit recevoir à l’école militaire de Tuln. Ses progrès y furent rapides et brillans ; en deux années, il acheva des cours qui, pour les autres, ne comportaient pas moins de trois ans, et la satisfaction qu’il inspira aux officiers ses professeurs fut telle que l’un d’eux, en le recommandant au ministre, observait que dans ce jeune homme de dix-sept ans il pouvait bien y avoir l’étoffe d’un général en chef.