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qui s’identifie avec le gouvernement, qui comprend les nécessités des affaires publiques, et ne peut jamais se laisser entraîner, ni par des jalousies qui ne sauraient l’atteindre, ni par un besoin d’envahissement contre lequel sa constitution le défend.

Devant les parlemens, les appels comme d’abus s’instruisaient comme de véritables procès. La solennité des formes rendait les poursuites ardentes, vives, passionnées. Devant le conseil d’état, l’instruction se fait administrativement ; elle est engagée par le ministre à qui, lorsqu’il s’agit d’intérêts privés, les parties doivent s’adresser d’abord, et qui peut s’interposer officieusement avant que le débat s’engage. Les questions sont examinées avec calme, loin du retentissement de la publicité, dans la seule préoccupation de la justice et des intérêts publics. La nature des décisions est elle-même différente. Si les faits qui ont donné lieu à une plainte ne sont pas justifiés, s’ils sont innocens ou dépourvus de gravité, le conseil d’état écarte la plainte sans bruit et sans scandale ; s’ils paraissent assez graves pour mériter une répression pénale, le conseil d’état en renvoie le jugement aux tribunaux ; s’ils ne comportent pas cette sévérité, sur l’avis du conseil d’état, il intervient une déclaration d’abus, c’est-à-dire une censure de l’ecclésiastique inculpé. Il est vrai que cette peine est purement morale ; mais, malgré des protestations plus orgueilleuses que sincères, l’expérience prouve qu’elle n’est ni dépourvue d’efficacité, ni indifférente à l’église. Nous n’en voulons pour preuve que les réclamations qui se sont élevées. La nature purement morale de la peine correspond à celle des faits auxquels elle s’applique, et elle est une garantie donnée au clergé contre les injustices du pouvoir civil. La déclaration d’abus s’adressant surtout à l’opinion, elle n’a de force qu’autant que l’opinion la ratifie, et le gouvernement ne s’exposerait pas à prononcer une sentence qu’elle casserait.

Les appels comme d’abus ne sont pas seulement un moyen de discipline, ils sont encore une protection efficace qui couvre le clergé contre les inimitiés privées. Aucun prêtre ne peut être poursuivi en justice, à la requête d’une partie privée, qu’autant que le conseil d’état l’a renvoyé devant les tribunaux. Le prêtre jouit ainsi de l’immunité accordée aux fonctionnaires publics : heureuse assimilation qui prévient l’éclat, qui empêche de livrer à la publicité des audiences, à la malice des commentaires, au fiel des plaidoiries, une foule de démêlés secondaires, inséparables des fonctions multipliées, complexes, délicates, du ministère ecclésiastique ; précaution sage, sans laquelle on verrait la liberté des prédications entravée, l’administration des secours spirituels discutée, la chaire, le confessionnal et la sacristie traduits à la barre judiciaire.

Ce n’est pas encore le seul secours que les appels comme d’abus prêtent